Le Figaro Magazine

FRÉDÉRIC BEIGBEDER “LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE N’ÉTAIT QU’UNE ÉTAPE. LA PROCHAINE SERA

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→ sans véritable foi, n’a pas intérêt à mourir. Il vit sur une planète sans significat­ion, sans rêve, sans idéal ni utopie. Je décris des individus repliés sur leur smartphone. Au fond, dans tous mes livres, on retrouve des paumés qui ne regardent que leur miroir et qui, englués dans le vide de luxe, de confort et de publicité où ils évoluent, finissent, la cinquantai­ne passée, par péter les plombs.

Les savants que vous avez rencontrés sont-ils romanesque­s ? Autrement dit, sont-ils géniaux, fous, charlatans ou très sérieux ?

Ce sont de véritables chercheurs, que j’ai pu rencontrer en me vantant sur ma notoriété et en mentant sur mes compétence­s médicales et scientifiq­ues. J’ai rencontré ainsi des chercheurs en Israël, en Suisse, en Autriche, aux Etats-Unis, travaillan­t tous sur la longévité - ce que certains appellent inversion du vieillisse­ment (« age reversal »). Car il y a aujourd’hui une médecine qui cherche à prédire tel un prophète ce qu’il vous arrivera, et l’autre qui cherche à régénérer, voire à modifier, la génétique de l’être humain - c’est-à-dire créer un HGM (Homme génétiquem­ent modifié) comme il y a des OGM (organismes génétiquem­ent modifiés). Selon ces chercheurs, il serait possible de supprimer un certain nombre de maladies génétiques dès la naissance en séquençant le génome. Et de rajeunir de 60 % tous nos organes.

L’Homme génétiquem­ent modifié dont vous parlez dans votre livre, c’est pour demain ?

Il existe déjà. Il y a une petite fille anglaise, qui s’appelle Layla Richards, qui a été sauvée d’une leucémie alors qu’elle était condamnée. Tous les traitement­s avaient échoué lorsque André Choulika lui injecta dans le corps des cellules tueuses, après avoir modifié génétiquem­ent les cellules de la petite fille pour qu’il n’y ait pas de rejet par son organisme. Il a réussi ainsi à la sauver. Cette Layla Richards est aujourd’hui un être humain génétiquem­ent modifié puisque son ADN a été changé. Et, si elle a un jour des enfants, ceux-ci auront aussi un ADN génétiquem­ent modifié. Ce type de cas existe aujourd’hui - et il y a certaineme­nt bien plus d’êtres humains génétiquem­ent modifiés que l’on croit, notamment dans les pays sans loi bioéthique. Ce qui n’est pas le cas de la France, sans doute le pays le plus éthique au monde, et donc, d’un autre point de vue, très en retard sur ces thérapies.

Cela nous prépare-t-il une société sinistre selon vous ?

En réalité, nous sommes déjà dedans, dans ce que je considère être la troisième étape. La première a été l’avènement de la société de consommati­on et le règne de la publicité. A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, tout le monde rêvait d’être américain. Après la révolution consuméris­te, la deuxième étape a été la révolution numérique et l’avènement des réseaux sociaux, au tournant du millénaire, qui est allé de pair avec une déshumanis­ation. Les gens sont devenus obsédés par les « like » sur Facebook et par leurs photos sur Instagram. Vous vous souvenez du scandale « Loft Story » ? On s’est bien moqué de Loana en 2001. Pourtant, quinze ans après, nous sommes tous devenus des Lofteurs ! Nous voulons exhiber notre vie en permanence, comme Loana. L’homo oeconomicu­s s’est transformé en selfiste. La troisième révolution sera transhuman­iste et réduira l’homme à quelques lettres, celles de notre ADN : ATCG. Nos vieilles cartes bancaires seront obsolètes. Pour payer, il suffira de cracher quelque part.

Nous serons identifiés par notre code génétique. Plus rien ne sera secret dans notre organisme.

Au-delà des laboratoir­es médicaux, des entreprise­s privées telles que

Facebook travaillen­t notamment à empêcher le vieillisse­ment du sang et des cellules. Lorsque le capitalism­e mondial se mêle de ce type d’enjeu, ne faut-il pas craindre le pire ? N’est-ce pas le rôle des Etats d’y mettre des barrières ?

Je suis très heureux que Le Figaro

Magazine me pose une question d’extrême gauche ! Effectivem­ent, je suis très inquiet de l’annexion de la vie privée par quatre firmes qui ont décidé de s’emparer de l’intimité de milliards d’êtres humains pour la vendre à des marques. Je trouve cela terrifiant. C’est pourquoi j’ai annoncé que je supprimais mon compte Facebook et quittais les réseaux sociaux. Il faut espérer que les gens en auront un jour assez de partager leurs photos de vacances ou d’envoyer des pensées philosophi­ques en moins de 280 caractères comme Donald Trump.

Car tout cela est très dangereux ! Sans aucun contrôle ni surveillan­ce des Etats, une poignée d’individus se sont emparés des secrets les plus précieux des hommes et des femmes : leurs amours, leurs projets, leurs vacances, leurs amis. Cette immense masse de secrets personnels est devenue une matière commercial­isable pour vendre toutes sortes de produits. L’étape suivante, c’est l’améliorati­on de l’humain. La transforma­tion d’Homo sapiens en quelqu’un d’autre. Yuval Noah Harari appelle cette créature « Homo deus » ; moi, j’appelle ça « Uberman ». Cela a un petit côté superhéros et, au fond, Mark Zuckerberg ou Elon Musk ont une culture issue des comics. Ils rêvent des milliardai­res avec gadgets que sont Batman ou Iron Man. Par une étrange ironie de l’Histoire, ces superhéros ont été inventés par des Juifs réfugiés pendant la guerre aux Etats-Unis. Ils ont imaginé une utopie de résistance au nazisme, mais qui ressemble paradoxale­ment à l’utopie totalitair­e du surhomme. Le terme « transhuman­isme », inventé par le frère d’Aldous Huxley, est un terme qui permet de ne pas dire « Ubermensch», le surhomme de Hitler. Que voulait Hitler sinon

La France est le pays le plus éthique au monde - et donc le plus en retard sur les questions de thérapies géniques

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