Le Figaro Magazine

DE CHANGER L’HUMANITÉ”

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améliorer la « race humaine » en créant des « hommes supérieurs » ? Les textes des chercheurs de la Silicon Valley évoquent des « hommes augmentés ». Quelle est la différence ? Il n’y en a pas. Sauf que, étant incultes ou amnésiques, ils ne voient pas eux-mêmes ce qu’ils sont en train de faire. Ils sont en train de créer une utopie qui est celle des années 30. Ils ne savent pas ce qu’ils font. Ce n’est pas une raison pour leur pardonner.

Les patrons de la Silicon Valley se prendraien­t-ils pour Dieu ?

Oui, ils ont gagné tant de milliards en pillant nos vies en quelques années qu’ils croient posséder tous les pouvoirs. Leur rêve est désormais de créer des pays ou des îles où il n’y aura pas d’impôts et où ils seront tous immortels.

Les religions peuvent-elles jouer un rôle pour juguler tout cela ?

Les religions nous parlent de vie éternelle depuis toujours. C’est leur ADN. Dans mon livre, je raconte comment, allant à Jérusalem sur le tombeau du Christ au Saint-Sépulcre, j’y éprouve un véritable choc mystique. Il y a des endroits sur terre qui sont sacrés et ne peuvent laisser indifféren­t. L’Eglise a un discours très clair : on ne touche pas à l’intégrité de l’humanité. J’ai rencontré un séminarist­e, l’abbé Thomas Julien, dont je parle dans le livre, qui m’a livré une réflexion qui résume assez bien la situation : « Les transhuman­istes veulent que l’homme devienne Dieu tandis que les chrétiens ont, au contraire, un Dieu qui s’est fait homme. »

Au fond, je pense que l’affronteme­nt entre ces deux pensées va être celui du siècle.

Le risque d’une telle évolution n’est-il pas aussi de créer une société hyper-inégalitai­re, voire eugéniste ?

Qui dit surhomme, dit sous-homme. Il va y avoir des guerres entre les riches et les pauvres, entre les immortels et les mortels. L’une des procédures pour augmenter son espérance de vie est de remplacer son sang, c’est-à-dire s’injecter plusieurs litres de sang jeune du même groupe sanguin chaque mois. Cela peut également conduire à des guerres entre les vieux et les jeunes. Au fond, le transhuman­isme valide le vampirisme et les zombies. Tous les scénarios les plus dingues de Hollywood sont aujourd’hui réalistes. Encore faudrait-il qu’il y ait toujours de l’air à respirer en 2100.

Votre roman peut-il ouvrir un débat ?

Ce sont des questions très sérieuses que j’essaie d’agiter en ne me prenant pas moi-même trop au sérieux. J’espère avoir écrit tout de même un roman satirique et déconnant. Sommes-nous prêts à renoncer à notre humanité pour vivre plus longtemps ? Si le frigidaire commande nos courses à notre place, est-ce vraiment un progrès ? C’est aussi de la liberté en moins, et on ne pourra plus revenir en arrière. Déjà, on ne peut plus revenir en arrière. J’ai quitté Facebook, mais je ne pourrais pas me passer de mon téléphone portable. Il y a toute ma vie dans mon smartphone. Nous sommes déjà victimes, sans en être toujours conscients, d’aliénation­s nouvelles. Cela n’a fait l’objet d’aucun débat. Pourtant, pour moi, c’est beaucoup plus important que de savoir si on va réformer le code du travail.

■ PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO

ET JEAN-RENÉ VAN DER PLAETSEN

Une vie sans fin, de Frédéric Beigbeder. Grasset, 350 p., 22 €.

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