PAS DE CHARITÉ DANS LE MONDE DU VIN
Dans le Vaucluse, les bénédictins du vignoble Caritas sont confrontés à une institution qui revendique l’usage de leur nom.
Le commerce international est un univers impitoyable. Même entre frères, on s’y fait la guerre par hommes de loi interposés. Occupés à chanter les louanges de Dieu sept fois le jour et une fois la nuit par le moyen des psaumes de David, les vignerons bénédictins de l’abbaye Sainte-Madeleine l’ignoraient lorsqu’ils ont créé en 2015 le Vignoble Caritas avec l’ambition de susciter une dynamique profitant non seulement à leur travail, mais aussi à celui de leurs voisins de Malaucène, Entrechaux, Beaumont du Ventoux et Le Barroux, jolis petits villages du nord du Vaucluse où il fait bon s’attarder. Une démarche qui concernait 300 hectares de vignes et 80 vignerons regroupés sous le nom Lux Montis produisant chaque année 500 000 bouteilles. Ils ont en effet été attaqués par l’institution Caritas Internationalis, qui revendique l’usage exclusif de la marque Caritas sur toutes les classes de produits – vins et alcools compris, alors que le mot n’avait pas été déposé dans la classe 33 les concernant. Un coup dur pour le vignoble du Nord Vaucluse au moment où la diffusion de leurs vins blancs, rouges et rosés classés en AOC Ventoux progressait en France grâce à une augmentation de leurs points de vente, qu’ils étaient en train de trouver des clients à l’export et où leur renommée allait grandissant grâce à la presse écrite et aux reportages télévisés que l’on retrouve facilement sur internet.
Qui se cache donc derrière cette mystérieuse institution Caritas Internationalis et qui en veut à ce point aux moines vignerons du Barroux ? On se pince pour le croire. Une confédération internationale d’organisations catholiques à but caritatif dont la branche française est le Secours catholique. Imitant Louis XIV en sa splendeur, voilà ces gens disant : « La charité, c’est moi. » Les vignerons Caritas vont devoir trouver une autre marque et écouler au plus vite, et en France exclusivement, leurs 23 000 bouteilles étiquetées avec le nom maudit, ce qui est quand même un comble quand on y pense. Sinon, le Secours catholique va leur envoyer les gendarmes de Saint-Tropez pour vider leurs cave ! Je plaisante, évidemment. Du monde, il convient de rire mieux que de pleurer ainsi que nous l’ont appris Héraclite et Démocrite au cours d’un fameux débat. Il ne nous avait pas échappé qu’il y avait des marques issues de noms communs : Apple, Orange, Kinder – et même de noms propres : Kléber, Ajax, Mars. Nous avions remarqué qu’un grand nombre de marques avaient eu l’honneur de faire le chemin inverse en entrant dans le dictionnaire : slip, frigidaire, digicode. Tous les amoureux des beaux mots de tous les jours savent ça. Mais qu’un consortium d’oeuvres de charité se réserve l’exclusivité d’un mot du Gaffiot, nous ne l’avions jamais vu ni même imaginé. Les vignerons de l’abbaye Sainte-Madeleine vont devoir remettre la main à la charrue sans regarder en arrière, ainsi que le demande Jésus en son Evangile. Ils en seront consolés. Obéir au maître qu’on s’est choisi est moins pénible qu’obéir à l’injonction de Thémis aux yeux bandés, la païenne déesse de la justice qui sévit jusqu’à ce jour.
SÉBASTIEN LAPAQUE