L’apostrophe de Jean-Christophe Buisson/Ecrans
CHER WINSTON CHURCHILL, vous êtes du pain bénit pour les comédiens. C’est bien simple : dès qu’un acteur enfile devant une caméra votre smoking ou votre robe de chambre, allume un long cigare dont il exhale la fumée dans le visage d’une enfant entre deux gorgées de whisky et maugrée ces formules dont vous avez le secret (« Tous les matins, j’apporte à ma femme le café au lit : elle n’a plus qu’à le moudre » ; « Christophe Colomb fut le premier socialiste : il ne savait pas où il allait, il ignorait où il se trouvait et il faisait tout cela aux frais du contribuable », etc.), il se révèle épatant voire éblouissant. Gary Oldman
n’échappe pas à cette bienheureuse règle dans Les Heures sombres.
Le film de Joe Wright évoque brillamment les jours fatidiques de mai-juin 1940 au cours desquels l’Angleterre faillit ne pas devenir l’îlot de résistance que l’on sait. Appelé à contrecoeur au 10 Downing Street par un roi qui ne l’aime pas et se lamente d’avoir à le voir hebdomadairement (« Vous aimeriez qu’on vous arrache une dent une fois par semaine ? »), le chef de file des conservateurs se retrouve à la tête du pays le jour où les panzers envahissent la Belgique et fondent sur la France où se trouvent des centaines de milliers de soldats britanniques. Relever le défi de leur évacuation (l’opération « Dynamo », à Dunkerque) sera une tâche ardue. Mais plus encore, convaincre le souverain, ses ministres, son propre parti, les députés, les lords et le peuple qu’il ne saurait être question de négocier avec Hitler, ainsi que la raison (et Lord Halifax, qui rêve de son poste) le suggère.
Pédagogique, parfois a little bit didactique, résolument hagiographique, ce récit historique en images regorge de scènes mémorables et de dialogues inoubliables. Le sens de la repartie et la mauvaise foi assumée de Churchill (« Cessez de m’interrompre quand je vous interromps ! ») sont restitués à la perfection par Oldman, grandiose. Et l’aperçu sur les malodorantes arrière-cuisines politiciennes britanniques riche d’enseignements contemporains. Y compris de ce côté-ci de la Manche.
Post-apostrophum : on attend toujours désespérément le cinéaste français qui se lancera dans un biopic sur de Gaulle, sujet pas moins cinématographique que Churchill…