Le Figaro Magazine

Livres/Le livre de Frédéric Beigbeder

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J’ai aimé ce livre sans rien connaître de son auteur, grâce à une phrase : « L’humanité qui se déverse autour d’eux évoque un fleuve visqueux et bavard. » Je l’ai lu comme le premier roman d’une Anglaise un peu fofolle qui raconte les galères d’une bande de paumés à la Trainspott­ing. Ce n’est qu’après avoir suivi les désillusio­ns de Becky la danseuse, Harry la dealeuse et Leon son meilleur ami, que je me suis renseigné sur Kate Tempest. C’est alors que j’ai appris qu’elle était une poétesse slamant dans les pubs du sud-est de Londres, un mélange de Janis Joplin et PJ Harvey, et qu’elle avait publié deux albums de « protest songs », dont l’un s’intitule Let Them Eat Chaos (allusion au « Let them eat cake » de Marie-Antoinette…) Je ne sais pas si j’aurais apprécié son roman avec la même innocence si j’avais su qu’elle y recyclait certains de ses monologues théâtraux et poèmes éructés au Rivoli Ballroom, parfois retransmis en direct sur la BBC. Mais je ne vais pas changer d’avis sous prétexte que je suis tombé dans le panneau d’une rappeuse punk ! De même que j’avais aimé Une fièvre impossible à négocier de Lola Lafon sans savoir qu’elle était la chanteuse d’un groupe de rock balkanique. L’Art pour l’Art m’ennuie, mais j’essaie tout de même de juger le Livre pour le Livre. Tempest est-il un pseudonyme ? Ce nom résume à lui seul l’énergie des personnage­s baroques d’Ecoute la ville tomber, cherchant à survivre dans la ville aux loyers les plus chers du monde. Depuis L’Odyssée et Don Quichotte, le roman raconte toujours la même aventure : quelques inadaptés refusent de se plier aux codes de la société des hommes, n’y parviennen­t pas, s’échappent quand même, reviennent et meurent vers la fin.

Ecoute la ville tomber, c’est Charles Dickens sous ecstasy ! Quand on refuse d’aller au bureau, les choix de vie ne sont pas innombrabl­es : on commence par foutre le camp en voiture pour faire la teuf, et ça se termine en vendant de la drogue pour s’acheter la sienne. La clochardis­ation prend quelques semaines. On arrête de prendre des douches, on boit pour ressembler à Bukowski, mais tout ce qu’on devient, c’est SDF. L’écriture de Miss Tempest est lyrique, ébouriffée. On la reçoit comme une gifle au visage. La vie qu’elle refuse, c’est notre confort. « Un seul sujet de conversati­on : son nombril. » Cette histoire a été racontée souvent mais on ne s’en lasse pas. Chaque génération a besoin de l’écrire. On sait où elle se termine. Kate Tempest n’est pas morte d’une overdose à 27 ans (elle en a 33) : c’est donc qu’elle finira ministre.

Ecoute la ville tomber, de Kate Tempest (Rivages) 429 p., 22,50 €. Traduit de l’anglais par Madeleine Nasalik.

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