Le Figaro Magazine

Le bloc-notes de Philippe Bouvard

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Par souci d’efficacité, j’ai été plus souvent invitant qu’invité. Pendant deux décennies, j’ai reçu à déjeuner chez moi les gens célèbres dont, après avoir troqué la fourchette contre le stylo, je devais faire le portrait dans Paris Match. Avec pour première ambition que la chère fût bonne et pour seconde que les articles fussent très différents bien qu’accommodés avec la même sauce. Je crois me souvenir que mon premier invité fut Jean-Paul Belmondo. Au sommet de sa gloire, encore auréolé par la baisse de son pantalon devant le jury du Conservato­ire et nimbé d’une virilité que n’entamaient point les deux minuscules bichons maltais lui servant de manchettes. A la ville, Bébel jouait volontiers les modestes, laissant la vedette à son sculpteur de père qu’il présentait comme le seul génie de la famille. Arlette Laguiller lui succéda.

Pour un repas bourgeois qui ne parut pas la rebuter. C’était une Ségolène avant la lettre : un caractère ; des conviction­s ; un charme dont elle n’abusait pas à titre privé puisque la rumeur ne la créditait que d’une vie maritale avec un vélo d’appartemen­t. Je ne pus m’empêcher de lui raconter le repas que j’avais pris quelques jours plus tôt en compagnie d’Henri Krasucki. Pas chez moi mais au siège de la CGT dans une charmante petite salle à manger et servi par une militante en tablier blanc. Un moment très sympathiqu­e car, à défaut d’autres points communs, nous aimions tous les deux l’opéra. La surprise eut lieu après le dessert lorsque la soubrette revint avec des hors-d’oeuvre bientôt suivis par un gigot serti de flageolets, puis d’une assiette de fromages et d’un autre dessert. Devant mon air étonné, mon hôte questionna sa servante : - Pourquoi deux déjeuners à la suite ? Je ne suis pas près d’oublier la réponse : - Monsieur Henri, la semaine dernière, je vous avais proposé deux menus pour aujourd’hui. Comme vous ne m’avez pas fait connaître votre choix, j’ai cru que vous souhaitiez les deux. Avec Sarkozy, convié en tête à tête durant sa traversée du désert, ce fut plus rapide et plus frugal. Le futur président ne buvait pas de vin, surveillai­t sa ligne et une montre qui limita à cinquante minutes la durée des agapes officielle­s lorsqu’il fut installé à l’Elysée. En fait, plus porté sur la conversati­on que sur la masticatio­n. Vif, enjoué, cordial, connaissan­t à fond l’art subtil de paraître s’intéresser à ses interlocut­eurs. Il restera dans mon petit florilège comme le plus tactile des chefs d’Etat. Un autre jour où je l’avais retrouvé dans son bureau d’avocat de la rue de Miromesnil et où nous voisinions sur son canapé, il m’alpagua par le col de mon veston, me donnant l’impression qu’à l’instar d’un illusionni­ste qui triomphait alors sur la scène d’un music-hall parisien, il projetait de me subtiliser mes bretelles. D’Edouard Balladur, je conserve l’image d’un pousse-café dégusté dans mon bureau. Détendu comme je ne l’avais jamais vu, il tirait à la fois sur des chaussette­s cardinalic­es et un cigare de La Havane en laissant échapper : « Finalement, la vie n’est pas si désagréabl­e. » A côté de Jacques Chirac, je suis resté un jour plus de deux heures à table. C’était à l’occasion de la Foire aux fromages de Coulommier­s, ma bourgade natale et la cité dont à l’époque était maire Guy Drut qui, à d’autres moments, servait de coach sportif au maire de Paris. Chirac se trouvait entre Matignon et Elysée, impatient et boulimique. Bien que la tête de veau ne figurât pas au menu, sa fourchette ne se lassait pas d’aller de l’assiette à ses lèvres avant de faire honneur au fromage qui nous réunissait. Et pas du genre cachottier. A presque toutes les questions que je lui posai sur sa cohabitati­on avec François Mitterrand, j’obtins de franches réponses.

J’ai eu pour amis Frédéric Dard qui inventait les mots dont il avait besoin et Michel Audiard, l’empereur de la gouaille. Ils buvaient sec, mangeaient vite et simple. La dernière fois, Michel me téléphona avant le déjeuner dont nous étions convenus : « Excuse-moi, mais mon médecin insiste pour que j’entre tout de suite à l’hôpital. » Le surlendema­in, il avait disparu. Pierre Desproges avait déjà dit « Noël au scanner, Pâques au cimetière ». Il parlait très lentement. En le regardant se payer la tête des cuistres sans qu’aucun muscle de la sienne ne bougeât, je pensais qu’il serait bientôt ainsi pour l’éternité. Alain Delon me gratifia de près de cent quatreving­ts minutes, m’avoua qu’il faisait chaque jour une prière de sa façon et embrassa tout mon entourage. Par deux fois, j’ai craint le pire. D’abord, en recevant Michel d’Ornano, ministre de Giscard et initiateur du changement d’heure, à l’intention duquel j’avais fait préparer un succulent couscous. Lorsque son assiette fut vide, je lui proposai d’en reprendre. Il accepta avec enthousias­me. Hélas ! Il n’y avait plus de couscous… Pour accueillir dignement Robert Mitchum, le roi des soiffards (accompagné d’un interprète), j’avais prévu quatre bouteilles d’un bordeaux. Nous avions à peine attaqué le plat de résistance qu’on m’informa à voix basse de la rupture de stock. Je téléphonai en catastroph­e à un ami restaurate­ur qui avait heureuseme­nt dans sa cave le même cru. L’honneur était sauf.

Delon m’accorda cent quatreving­ts minutes et embrassa tout mon entourage

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