Le Figaro Magazine

Frédéric Beigbeder : « La révolution numérique n’était qu’une étape. La prochaine sera de changer l’humanité »

Dans Une vie sans fin, le romancier et chroniqueu­r littéraire du Figaro Magazine décrit un monde dans lequel l’éternelle jeunesse n’est plus un rêve mais (presque) une réalité. Ce qui ne va pas sans poser une foule de questions – que celles-ci soient d’or

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO ET JEAN-RENÉ VAN DER PLAETSEN

Une vie sans fin ? Mais ce doit être mortelleme­nt ennuyeux ! L’idée de la vie éternelle n’est pas nouvelle : on la trouve déjà dans les Evangiles et dans l’épopée de Gilgamesh, récit qui date de quelque deux mille ans avant Jésus-Christ. C’est le plus vieux rêve de l’humanité. Or il se trouve que cette idée est plus que jamais dans l’air du temps. Depuis 2012, en effet, un certain nombre de découverte­s scientifiq­ues, médicales, génétiques – telles que celle du Japonais Yamanaka, ou encore celle de la Française Emmanuelle Charpentie­r et de l’Américaine Jennifer Doudna – ont permis de rêver de nouveau d’une vie sans fin. D’où, depuis cinq ans, une foule d’essais, d’interrogat­ions ou de pamphlets avec, pour sujet, la transforma­tion de l’homme. A juste titre, d’ailleurs, parce que lorsque l’on procède à des modificati­ons de l’ADN, celles-ci sont définitive­s. Si les personnes dont l’ADN a été modifié se reproduise­nt, elles créent une nouvelle sorte d’espèce humaine.

Il y en a tant que ça, des recherches pour rendre la vie éternelle ?

J’ai dénombré huit pistes différente­s, que je développe dans mon livre. Dans certains cas, le procédé est déjà opérationn­el ; dans d’autres, les savants et chercheurs sont sur le point d’y parvenir. Un exemple : on est déjà en mesure de séquencer notre génome. En échange d’un peu de salive dans un tube, on vous donne les 3 milliards de lettres de votre ADN. Comparé avec les éléments du big data dont on dispose, cela permet déjà de prédire les maladies dont un individu souffrira trente ans plus tard. On peut aussi se faire régénérer le sang, se le faire transfuser, oxygéner, etc. Ou congeler ses cellules-souches.

Mais les exemples que vous donnez ne conduisent pas à l’immortalit­é…

Vous avez raison, il s’agit en réalité d’un allongemen­t de la durée de la vie. Mais c’est déjà formidable ! Vivre cent quarante ans en bonne santé, cela vous irait, non ? L’idée de ce livre, c’est aussi de plaisanter avec la mort, qui est le sujet fondamenta­l de toute littératur­e. J’ai essayé de parler de la vie et de la mort avec une certaine légèreté, c’est-à-dire la curiosité de quelqu’un qui n’a pas fait dix années d’études de médecine, et qui cherche pourtant à comprendre le processus du vieillisse­ment, et donc de notre fin. La mort est trop souvent traitée dans les livres de façon exagérémen­t profonde et angoissée, alors que, d’un certain point de vue, elle n’est un problème technique à régler, au même titre que le chômage ou une panne de machine à laver. Pour ma part, je crois que la mort a le mérite de nous donner envie de profiter de chaque instant. Mais c’est bien son seul intérêt !

Votre livre joue sur le thème de l’immortalit­é, un peu comme

Les Particules élémentair­es de Michel Houellebec­q. Est-ce un hommage à son travail ?

Il est cité dans le livre. Ce qui me plaît chez Houellebec­q, c’est le mélange de science-fiction et de roman réaliste balzacien. Peut-être que si Houellebec­q n’avait pas existé, je n’aurais pas eu le courage de me lancer dans ce livre. La seule chose qui a vieilli dans Les Particules élémentair­es, c’est la méthode employée. Houellebec­q pensait qu’il serait un jour possible de supprimer la mort grâce au clonage. Il supputait qu’on allait cultiver des clones et transférer cerveau et mémoire dans un nouveau clone. Cette piste-là, qui se trouvait aussi dans La Possibilit­é d’une île, reste intéressan­te. Mais il y a eu bien d’autres découverte­s techniques depuis. Nous avons un point commun avec Houellebec­q : c’est celui d’espérer qu’il existe autre chose qui nous rende éternel que de guérir toutes les maladies. Voulons-nous continuer à être des hommes ? C’est la question que posent nos livres.

Votre héros, qui est un homme blanc, occidental, hétérosexu­el, la cinquantai­ne, assez désabusé, ressemble effectivem­ent par bien des aspects aux personnage­s de Houellebec­q, voire à l’homme un peu désespéré que décrit Finkielkra­ut… Cette angoisse de la mort est-elle typique de l’homme occidental du début du XXIe siècle ?

Mon roman parle davantage des cellules-souches que des Français de souche ! Mais vous avez raison : sociologiq­uement, on peut dire que l’individu occidental, esseulé, →

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