Lecture-Polémique
Va-t’en, Satan ! » : tels sont les derniers mots prononcés par le père Hamel avant son exécution il y a un an et demi. Dans son dernier souffle, le prêtre martyr a eu le courage d’affronter les islamistes et de nommer le mal. Un courage que le pape François et nombre de dirigeants européens n’ont pas.
« C’est l’ennemi qui vous désigne », disait Julien Freund. Le penseur du conflit rappelait ainsi que la tolérance et l’ouverture ne suffisent pas toujours à éviter la guerre, et que contrairement au slogan de certaines pancartes après les attentats du 13 novembre 2015, l’amour n’est pas nécessairement plus fort que la haine.
Dans son dernier essai, Violence et passions *, l’un des événements de cette rentrée,
Nicolas Baverez rappelle cette réalité tragique et dessille les yeux des Pangloss de la mondialisation heureuse. Si la chute du mur de Berlin en 1989 a marqué le triomphe du capitalisme globalisé, de la technocratie et de l’internet, cela n’a pas débouché sur la prospérité et le vivre-ensemble planétaire annoncé.
« Plus les marchés et les technologies convergent, plus les sentiments identitaires s’exacerbent et divergent, analyse Baverez. La mort des idéologies n’a pas euthanasié les passions ; elle les a libérées. » A l’aube du XXIe siècle, La Fin de l’histoire de Fukuyama a cédé la place au Choc des civilisations de Huntington, L’Empire du bien à Game of Thrones. Aux effets de manches, l’auteur de La France qui tombe préfère la précision et la rigueur de l’analyse clinique. Cela rend son tableau du monde contemporain d’autant plus terrifiant. Loin d’avoir été éradiquée, la guerre a muté, explique Baverez. Le 11 septembre 2001 a ouvert un nouveau cycle de violence : celui des conflits hybrides. Le terrorisme djihadiste n’est pas seulement asymétrique, il est à la fois intérieur et extérieur, civil et militaire, il mobilise aussi bien des moyens militaires que des individus ubérisés armés de couteaux ou de voitures-béliers. « L’Etat islamique n’est pas mort,
prédit Baverez. Il progresse en Afrique, en Asie. Dans tout le monde développé, il se restructure sous la forme d’un réseau social cherchant à radicaliser et à enrégimenter la jeunesse. »
Pourtant, à le lire, l’islamisme n’est qu’une menace parmi d’autres. Car nous sommes entrés dans l’ère des disruptions en tout genre. Le krach boursier de 2008, le plus violent depuis 1929, a durable- ment déstabilisé l’économie mondiale. Une légère secousse à côté du tsunami que pourrait déclencher demain l’avènement de l’intelligence artificielle. Les vagues migratoires bousculent l’équilibre social et politique des pays européens déjà fragilisé par les fractures entre villes-mondes et périphéries. Enfin, les « démocratures » (Chine, Russie, Iran, Turquie, etc.) concurrencent les démocraties libérales, qui s’enferment dans le déni face au retour de la violence. Alors que le monde réarme (à commencer par les Etats-Unis et la Chine) l’Europe et, singulièrement, la France désarment. L’analyse de Baverez, peu suspect de laxisme en matière budgétaire, fait écho à celle du général Pierre de Villiers. « La France, si elle souhaite restaurer la sécurité de sa population et de son territoire, ne peut échapper à une forte réévaluation de son effort de défense, écrit-il. De ce point de vue, le quinquennat d’Emmanuel Macron est mal parti. »
La démonstration de Baverez est presque toujours convaincante. Elle résonne comme un cri d’alerte pour des démocraties libérales léthargiques en passe de subir une nouvelle « étrange défaite ».
Cependant, la volonté de l’auteur de poursuivre coûte que coûte l’intégration européenne mérite d’être discutée, et sa critique des « populismes », d’être nuancée. Pour lui, avec le Brexit et l’élection de Trump, « le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont fait le choix du nationalisme, du protectionnisme et de la xénophobie ». On peut aussi y voir la volonté des peuples de recouvrer une partie de leur souveraineté face au nouveau désordre mondialisé, de renouer avec un ordre ancien perçu comme plus protecteur. Ces secousses démocratiques font écho au discours de Maastricht de Philippe Séguin, en 1992, devant l’Assemblée nationale – discours à l’écriture duquel Nicolas Baverez avait participé : « Qu’on y prenne garde : c’est lorsque le sentiment national est bafoué que la voie s’ouvre aux dérives nationalistes et à tous les extrémismes… La quête identitaire est le réflexe défensif de ceux qui sentent qu’ils ont déjà trop cédé. » ALEXANDRE DEVECCHIO * Violence et Passions. Défendre la liberté à l’âge de l’histoire universelle, Editions de l’Observatoire, 130 p., 15 €.
L’islamisme n’est qu’une menace parmi d’autres