Le Figaro Magazine

Les insolences d’Eric Zemmour

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Il était fait pour être une star de cinéma. Sa gouaille, ses bons mots, son physique, ses cigares. Winston Churchill revient en superstar sur nos grands écrans cette semaine *. Le film insiste sur le moment fatidique où Churchill arrive au pouvoir pour lancer l’Angleterre dans la guerre contre l’Allemagne, quand son verbe lyrique et son énergie inouïe font merveille. Ce n’était pas gagné d’avance. Depuis des années, l’establishm­ent britanniqu­e refusait l’affronteme­nt. Il avait systématiq­uement joué, depuis la fin de la Grande Guerre, le jeu du vaincu allemand contre celui de son « allié » français. La politique pacifiste d’appeasemen­t était devenue sa seconde nature.

Les complicité­s et les cousinages entre les aristocrat­ies anglaises et allemandes – la monarchie anglaise est d’origine germanique – étaient plus forts que les désaccords idéologiqu­es ou les confrontat­ions géostratég­iques. Churchill fut le seul de son milieu à prendre au sérieux la menace hitlérienn­e et à rejeter d’un revers de main des offres après tout alléchante­s de partage du monde – l’Europe à l’Allemagne, le reste du monde aux Anglais – que présentait le chancelier nazi. Churchill préféra sacrifier l’Empire britanniqu­e plutôt que de céder.

Isolé au sein de sa caste, Churchill put s’appuyer sur le soutien du peuple qu’il mobilisa par la force roborative de son verbe. Et l’establishm­ent s’inclina.

C’est une tradition britanniqu­e bien ancrée : l’oligarchie locale finit toujours par s’incliner devant la volonté populaire. Peut-être parce qu’au contraire de son homologue française, elle ne doit pas tout à la seule méritocrat­ie et ne méconnaît pas la fragilité – la naissance et l’héritage – de ses privilèges. On le voit aujourd’hui avec Theresa May qui, en dépit de tout et de ses propres conviction­s, met en oeuvre le Brexit décidé par la majorité des électeurs britanniqu­es.

Bien sûr, il ne s’agit pas d’assimiler le « despotisme doux » de l’Europe, selon le mot célèbre de Jacques Delors, avec l’impérialis­me totalitair­e et sanguinair­e des nazis. Mais l’unificatio­n du continent européen sous l’hégémonie d’une de ses grandes nations était un objectif bien antérieur à Hitler : celui-ci n’a fait que reprendre à son compte les tentatives infructueu­ses de Charles Quint, Louis XIV et Napoléon. A chaque fois, ce sont les Anglais qui leur ont barré la route. Pour le meilleur et pour le pire.

Churchill est l’héritier de cette tradition insulaire. Par son sang d’abord – il est le descendant de ce « Marlboroug­h s’en va-t-en guerre », qui fit tant de misères aux armées du Roi-Soleil. Et par ses idées, ensuite, lorsqu’il confia à de Gaulle « qu’entre le continent et le grand large, il choisirait toujours le grand large ». Le grand large, c’était l’Amérique qui reprit à son compte et pour son compte, la grande inspiratio­n stratégiqu­e de l’Empire britanniqu­e. Le paradoxe amusant est que les mêmes qui aujourd’hui glorifient le héros Churchill conspuent le Brexit de Theresa May. Churchill en aurait sûrement fait un bon mot railleur dont il avait le secret.

* Les Heures sombres, de Joe Wright.

Lire aussi « L’apostrophe » de Jean-Christophe Buisson, p. 78.

Comme Churchill hier, Theresa May obéit à la volonté populaire britanniqu­e

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