FORCES SPÉCIALES : LE NOUVEAU FER DE LANCE DE LA DÉFENSE
Equipées de matériels dernier cri, polyvalentes et dotées d’un rayon d’action considérable, elles offrent la solution idéale dans les guerres contre les groupes djihadistes.
Les forces spéciales sont à la mode. Les guerres qui ont suivi le 11 Septembre, les conflits contre l’islamisme armé qui se déroulent depuis 2001 du Pakistan au Sahel en passant par l’Afghanistan, la Syrie, le Yémen, la Somalie et la Libye ont vu le rôle de ces forces d’élite se renforcer, au point d’en faire l’outil militaire par excellence pour les gouvernements occidentaux. Evoluant à la lisière de deux mondes, celui du renseignement et celui des forces armées, sans appartenir complètement à l’un ou à l’autre, les forces spéciales sont devenues, au début du XXIe siècle, un élément prépondérant dans toutes les opérations militaires d’envergure. Les « petits hommes verts » russes, soldats masqués et sans insignes qui s’emparent sans coup férir de la Crimée au printemps 2014 ; les soldats américains, britanniques, français ou australiens qui ont appuyé en toute discrétion la reconquête des bastions syriens de l’Etat islamique ; ou même la Division d’Or irakienne, qui a été à la pointe de la reprise de Mossoul, appartiennent tous à ces unités d’élite. Dans les conflits contemporains, leur polyvalence les amène de plus en plus souvent à remplacer les armées classiques, plus lourdes à employer.
S’il a évolué, le rôle des forces spéciales n’a pourtant pas fondamentalement changé depuis l’invention du concept en 1941 dans le désert libyen par un officier britannique très atypique et très courageux, David Stirling. A l’époque, le Special Air Service inaugure une nouvelle forme de combat. En France, les forces spéciales sont les héritières de plusieurs influences, mêlant l’expérience plus ancienne des corps francs à celle de la Résistance avec celle des Britanniques. De nombreux volontaires de la France libre ont servi dans les rangs du SAS (dont le 1er régiment parachutiste d’infanterie de marine, le 1er RPIMa, a gardé la devise, « Qui ose gagne ») ou des commandos de la Royal Navy, qui donnent naissance aux commandos marine. Les guerres d’Indochine et d’Algérie ont ajouté leurs caractéristiques propres à ces unités commando, appartenant aux trois armées de terre, de mer et de l’air.
Leur recrutement, très sélectif, leur entraînement poussé et leur équipement de pointe en font une force d’élite, placée depuis 1992 sous un commandement opérationnel unique, celui du commandement des opérations spéciales (COS). Sous les ordres du chef d’état-major des armées, les forces spéciales ont crû en importance, parallèlement à la réduction des effectifs de l’armée française et au développement des conflits de basse intensité contre les islamistes armés. La loi de programmation militaire française de 2014-2019 prévoit de faire passer leur nombre de 3 000 à 4 000 hommes. Ce chiffre reste modeste comparé aux effectifs des forces spéciales américaines (environ 64 000 hommes), mais représente une augmentation de plus de 30 % des effectifs Pour les gouvernements, les forces spéciales présentent de nombreux avantages. Elles permettent d’agir vite et discrètement, pratiquement sans couverture médiatique. Leur volume réduit évite de rendre leur présence trop visible et limite les conséquences politiques d’une intervention militaire. Equipées de matériels dernier cri, polyvalentes et dotées d’un rayon d’action considérables, elles offrent la solution idéale dans les guerres contre les groupes djihadistes, non déclarées, et
menées dans des environnements où il n’est pas toujours aisé de déployer des forces régulières. Elles peuvent mener des missions d’appui d’armées étrangères et participer à des missions de formation discrètes. Ce succès produit cependant quelques effets imprévus. Devenues l’arme de prédilection des états-majors quel que soit le type d’intervention militaire, elles se voient de plus en plus fréquemment utilisées dans des missions d’infanterie classique. Or, équipées pour mener des raids ponctuels, les forces spéciales sont trop faiblement armées, trop peu nombreuses et manquent d’appuis et de capacités de manoeuvre pour se transformer en unités d’infanterie. Dès que l’ennemi dispose d’une importante puissance de feu, ou une fois l’effet de surprise passé, le contre-emploi de ces précieuses forces d’élite peut avoir des conséquences désastreuses.
Les risques de cette utilisation inadaptée
sont illustrés par les récents revers subis par les forces spéciales américaines. Le 4 octobre 2017 au Niger, une douzaine de Bérets verts américains et une trentaine de soldats nigériens tombent dans une embuscade tendue par près de 200 combattants djihadistes affiliés à l’Etat islamique, au Grand Sahara, dans le village de Tongo-Tongo, près de la frontière malienne. Trop légèrement armées, dans des véhicules non blindés, dépourvus d’armes d’appui, les forces spéciales sont débordées. Quatre Bérets verts américains et quatre soldats nigériens sont tués. En janvier 2017, un raid des Navy Seals, les commandos de la Marine américaine, lancé de nuit contre une cellule d’al-Qaida dans le village de Yakla au Yémen, avait dû rembarquer après d’intenses échanges de tirs, perdant un commando et un appareil à décollage vertical Osprey. Dans les deux cas, le manque de renseignement fiable et la trop forte opposition rencontrée ont mis les forces spéciales en difficulté. L’autre option face à un ennemi trop puissant a été celle choisie par les Irakiens à Mossoul, qui ont transformé en unité d’infanterie blindée leurs forces spéciales de la Division d’Or, mais au détriment de leur souplesse et de leur rapidité. La crainte des spécialistes est aujourd’hui de voir l’augmentation des effectifs des forces spéciales altérer leurs caractéristiques de troupes d’élite, et le recours sans cesse croissant à la technologie éroder leur esprit d’initiative et leur capacité d’adaptation.
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