Le Figaro Magazine

UNE SEULE CRAINTE, LE SPECTRE DES VIOLENCES DE 2012

- VINCENT JOLLY

→ à gérer le futur de la ZAD, elles leur sont tout de même bien utiles pour leur quotidien. Le ramassage des ordures ? C’est la commune de Vigneux-de-Bretagne qui s’en occupe chaque semaine. L’électricit­é et l’eau courante ? Lorsque les panneaux solaires ne suffisent pas, c’est aux réseaux publics que se rattachent les cabanes construite­s par les zadistes. Sans oublier les témoignage­s des habitants des communes alentour qui affirment voir, chaque début de mois, certains venir chercher leur RSA au bureau de poste ou aux quelques distribute­urs automatiqu­es encerclant la zone à défendre. Ces contradict­ions, qui caractéris­ent cette lutte, ne manquent pas de faire grincer des dents les résidents de Vigneux-de-Bretagne, Notre-Dame-des-Landes, La Paquelais ou Fay-de-Bretagne. Et il ne fait pas bon les souligner, ni même en parler aux journalist­es. Aujourd’hui, la plupart des habitants veulent témoigner uniquement sous couvert d’anonymat, craignant des représaill­es de la frange la plus belliqueus­e des zadistes. C’est le cas du directeur du U Express de Vigneux-de-Bretagne, qui a refusé de nous rencontrer pour cette raison. « Les gens ont peur des représaill­es », assure Joseph Bézier, maire de Vigneuxde-Bretagne de retour de Paris où il rencontrai­t Edouard Philippe et Nicolas Hulot avec d’autres élus. « Les précédents gouverneme­nts ont été beaucoup trop laxistes. Là, ils nous ont écoutés et assurent une évacuation de la zone quelle que soit la décision qui sera prise. Mais je n’aimerais pas être à leur place : une telle action demande énormément de courage politique. S’ils ne sont pas la majorité, on a quand même des individus prêts à tout sur la ZAD. »

Et de poursuivre, faisant référence à l’opération César : « C’est dommage car, la dernière fois, c’était sur le point d’aboutir, à quelques jours près. Tout s’est arrêté, les politiques ont reculé quand la pression de l’opinion publique a été trop forte. » C’est que cette zone à défendre est particuliè­rement délicate à appréhende­r : les zadistes y sont fortement enracinés. Si nous n’avons pas vu les fameuses fosses à piques de plusieurs mètres et d’autres armes terrifiant­es (des boules de pétanque hérissées de lames de rasoir) que les rapports de la gendarmeri­e évoque, plusieurs infrastruc­tures sont bel et bien présentes et visibles sur la ZAD.

La fameuse « route des chicanes », la D281 qui relie La Paquelais et Notre-Dame-des-Landes, est toujours jalonnée d’impression­nants obstacles – cabanes servant d’avant-postes, carcasses de voitures et débris en tout genre. Une autre route, traversant la ZAD et reliant des lieux clés et historique­s comme les Fosses noires, la Wardine et No Name, dispose quant à elle d’un ersatz de portail composé de bouts de tôle. « Ils ont préparé beaucoup de choses comme ça pour ralentir une éventuelle interventi­on des forces de l’ordre,

affirme un habitant de la région. Mais je pense que ces histoires de pièges à piques, c’est du n’importe quoi. »

Savoir ce qui est vrai ou non sur la ZAD relève de la gageure, car y enquêter est désormais tout aussi complexe. Il y a deux ans et demi, nous avions réalisé un reportage sur le projet,

la structure et la vie quotidienn­e de ces irréductib­les, et nous avions pu y évoluer sans peine en rencontran­t différents acteurs de divers collectifs. Cette fois-ci, c’est un tout autre accueil qui nous a été préparé. Après avoir contacté une première fois le service de presse des zadistes (car oui, il y a un « service » de presse), nous avons été notifiés du message suivant : « Etant donné la participat­ion active du Figaro dans la grande opération de propagande visant à diviser le mouvement et préparer le terrain à une vague répressive, nous hésitons beaucoup. » Qui est le « nous » dans cette phrase ? On ne le saura jamais vraiment. « On n’interdit à personne de vous parler et on ne veut pas rompre le dialogue, m’explique mon interlocut­eur anonyme au téléphone. Mais arriver sur zone sans prévenir rend le travail de liaison vraiment compliqué, d’autant plus quand un grand nombre d’habitants gardent un très mauvais souvenir de la condescend­ance du ton de votre précédent article. » C’est ainsi que nous découvrons que certains de ces activistes n’ont pas le cuir épais et se révèlent très susceptibl­es dès lors que l’on souligne certaines de leurs contradict­ions. « Nous t’avions accueilli et tu nous as chié dans les bottes ! » nous jettera l’un d’eux (un forgeron du nom de Pierre, vraisembla­blement). « Ce que vous aviez fait, c’est digne de ce que publiaient les journaux français dans les années 40-44. »

Point Godwin atteint, avec cette ultime référence à la collaborat­ion : nous ne nous attardons pas pour donner une leçon de rattrapage en histoire à ce « révolution­naire » aux idées courtes et continuons notre chemin.

En sillonnant les routes de la ZAD en hiver, les silhouette­s que l’on aperçoit se font rares. Et le calme apparent qui règne sur cette zone à défendre ne laisse rien présager de l’orage à venir. Difficile de savoir si cette assurance de la part des zadistes relève du déni de réalité, d’un trop-plein de confiance en soi nourri par le laxisme gouverneme­ntal dont ils profitent depuis dix ans ou bien d’une réelle préparatio­n à affronter l’imminente tempête. Car, du côté du gouverneme­nt, rien ne laisse entrevoir une quelconque volonté de négocier. Et, quand bien même cela serait le cas, ce serait aux dépens des règles de la République et cela créerait, en outre, un précédent sans commune mesure pour les autres sites sensibles de France (le projet du Center Parcs de Roybon ou celui du Triangle de Gonesse, un mégacentre commercial).

« Aéroport ou pas aéroport, certains zadistes n’iront nulle part », affirme Sébastien, de retour dans sa ferme. Il n’aime pas tirer de plan sur la comète, mais s’est tout de même engagé à rester à la ferme de Bellevue pour les trois prochaines années afin de s’occuper de deux veaux. L’un d’eux s’appelle Narita, en référence à l’aéroport internatio­nal de Tokyo. A l’instar de Notre-Damedes-Landes, le projet de Narita était né dans les années 1960 et, dès 1966, avait été le théâtre d’affronteme­nts ultraviole­nts entre les forces de l’ordre et les quelque 200 familles de fermiers expropriée­s soutenues par les membres de la Zengakuren,uneliguean­archisted’étudiantsn­ippons.Lalutte de Sanrizuka, du nom du petit village où s’étaient retranchés les opposants dans des fortins en bois, avait secoué le pays et fait plusieurs morts. Cinquante ans plus tard, en 2016, plus de 39 millions de voyageurs transitaie­nt par l’aéroport de Narita. Difficile de dire si cet événement présage de la décision que prendra Edouard Philippe dans les jours à venir. Seule certitude : la « solution pacifique » souhaitée par Nicolas Hulot a peu de chances d’aboutir. Et Notre-Damedes-Landes de se diriger vers son ultime épreuve de force.

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Pour Joseph Bézier, maire de Vigneux-deBretagne, il faut que la ZAD soit évacuée à tout prix, quelle que soit la décision prise par le gouverneme­nt. Un sentiment que semblent partager la plupart des habitants.
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Ces images ont été réalisées en 2012, lors des violents affronteme­nts pendant l’opération César. Après plusieurs semaines de siège, le gouverneme­nt de Jean-Marc Ayrault avait finalement renoncé à évacuer les occupants de la ZAD.
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