LEVET DE BON PIED
On pourrait dire que la démarche est snob : partir à la recherche de l’auteur de quelques poèmes dont seulement dix sont extraordinaires. Ce n’est pas le cas, ce grand lecteur qu’est Frédéric Vitoux a été transfiguré par les Cartes postales d’Henry Jean-Marie Levet lorsqu’il était jeune et ne l’a jamais oublié. Complice de Léon-Paul Fargue et idole de l’ami de ce dernier, Valery Larbaud, Levet a tenté la poésie à la fin du XIXe, est parti aux Indes, en est revenu, a prétendu avoir écrit un grand roman (L’Express de Bénarès) dont on ne sait rien, a écrit ses Cartes postales – de courts poèmes évoquant des lieux qu’il n’avait pour la plupart jamais visités –, puis est devenu vice-consul aux Philippines et aux Canaries avant de revenir en France mourir de la tuberculose dans les bras de sa mère en 1906. Il n’existe que quelques photos de lui. Cela vous rappelle quelqu’un ? Vitoux parvient à raconter beaucoup de choses alors qu’on ne sait presque rien de Levet, d’autant que ses parents ont décidé de brûler tous ses papiers. Il fait défiler Fargue, Tinan, Toulet, le grand ami de Levet, le peintre, décorateur et architecte d’intérieur Francis Jourdain, et le créateur de Barnabooth qui eut jusqu’à sa mort, dans son bureau, une affiche représentant l’auteur des Cartes postales. C’est à Larbaud, persévérant, qu’on doit la réédition de son oeuvre si mince quinze ans après sa mort, c’est à Frédéric Vitoux qu’on doit aujourd’hui sa résurrection. Son talent habituel ne démérite pas. L’Express de Bénarès, de Frédéric Vitoux, Fayard, 290 p., 19 €.