CHAUSSÉE GLISSANTE
★★★ DÉTOUR, de Martin Goldsmith, Rivages/Noir, 258 p., 6,90 €. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Simon Baril.
La plupart des cinéphiles connaissent Détour à travers le film d’Edgar G. Ulmer (1945), interprété par un Tom Neal naïf et soumis, et une Ann Savage superbe autant que vénéneuse en femme fatale un brin psychopathe. Peu d’amateurs de polars ont par contre lu le roman de Martin Goldsmith (1939) dont ce classique (« merveille fauchée et mal foutue […], expression ultime du film noir fataliste » selon Eddie Muller, l’auteur de Dark City) est tiré. Et pour cause : il n’avait jusqu’ici jamais été traduit en France. Cette édition, aussi inattendue qu’inespérée près de quatre-vingts ans après sa sortie aux EtatsUnis, est donc un petit événement pour tous les aficionados du genre. Elle dévoile, à travers le roadtrip lugubre et tragique d’un musicien de la côte Est essayant de rejoindre en stop sa fiancée en train de se perdre à Hollywood, un roman noir nerveux, cruel et brutal, ainsi qu’une amère réflexion, d’une crudité peu commune et d’une étonnante modernité, sur le destin, la malchance, les illusions perdues et les rêves froissés. « Le roman de Goldsmith, note l’écrivain new-yorkais William Boyle dans une préface enflammée, c’est un fil électrique sous tension qui vient fouetter une chaussée détrempée. »
Un électrochoc, en quelque sorte. PHILIPPE BLANCHET