De notre correspondant... Iran
Elle est devenue, malgré elle, l’icône d’une révolte qu’elle n’a pas provoquée. Elle, c’est cette jeune Iranienne, tête nue en plein coeur de Téhéran, brandissant comme un totem son voile blanc sur un bâton. Immortalisé en un cliché, son geste de défiance, aussi effronté que poétique, a été à la fin du mois de décembre 2017 l’un des plus relayés sur les réseaux sociaux. L’un des plus commentés, aussi : à Paris, New York ou Berlin, intellectuels et journalistes ont – un peu trop rapidement – romantisé la demoiselle en l’érigeant en « symbole » d’une « nouvelle révolution iranienne », laquelle s’est essoufflée en une semaine pour cause de désorganisation et de répression.
Que savons-nous, au juste, de cette photo ? Qu’elle a été prise en plein jour dans la capitale iranienne. Que les gens qui l’entourent ne sont pas des manifestants mais de simples badauds. Mais, surtout, qu’elle est antérieure aux rassemblements de colère, partis de province, qui viennent de secouer la République islamique sur fond de frustrations économiques et politiques. Coïncidence de l’histoire : elle fait son apparition sur Facebook et Instagram le jeudi 28 décembre, soit le même jour que la première manifestation à Machhad, dans le nord-est du pays. En réalité, le cliché a été saisi la veille, mercredi 27, c’est-à-dire trois jours avant que la grogne des provinces ne gagne Téhéran, précise sur Twitter l’activiste Masih Alinejad, exilée aux Etats-Unis. Le lieu est évidemment symbolique : pour se dévoiler, la mystérieuse anonyme a choisi l’avenue Enqelab (l’avenue de la Révolution, en référence à celle de 1979, à l’époque vite détournée par l’ayatollah Khomeini). Mais la photo s’avère être le symbole d’un autre mouvement : celui, pacifique et plus discret, de millions d’Iraniennes désireuses de reconquérir leurs droits bafoués depuis la prise du pouvoir par les religieux. Un mouvement qui s’exprime par les fameux « mercredis blancs », lancés en mai 2017 par Masih Alinejad, et qui consistent à se filmer ou à se photographier sans voile pour protester contre le port obligatoire du foulard. Relayés sur la page Facebook « My Stealthy Freedom » (Ma liberté furtive), ces gestes individuels de résistance au féminin ont pour objectif d’encourager d’autres concitoyennes à défier, à leur tour, les carcans politico-religieux. Ils ne sont qu’un exemple, parmi tant d’autres, de toutes ces initiatives qui ne cessent de repousser chaque jour un peu plus les limites imposées. On pense aussi à cette jeune rebelle déguisée en garçon pour assister, le 24 décembre, à un match de football dans la ville d’Ahvaz – dans un pays où les femmes sont interdites de stade. Ou à ces mères du Parc Laleh, endeuillées par la mort de leurs enfants, lors de la vague verte de 2009, et à leurs rencontres hebdomadaires pour réclamer justice. Ou encore à ces députées réformistes qui, dès la fin des années 1990, défièrent leurs confrères conservateurs en troquant le tchador noir – obligatoire dans l’hémicycle – contre un maghnahed (sorte de foulard cagoule) pour signifier leur volonté de changement.
Au fil des années, et loin des gros titres de l’actualité, ces gestes d’apparence dérisoire ont valu aux Iraniennes de s’émanciper – et d’imposer progressivement leurs idées. Ironie du destin : le jour même où la belle anonyme osait pendre en public son voile blanc, avant d’être rapidement arrêtée, la police iranienne annonçait un assouplissement de la réglementation en vigueur en déclarant qu’un voile « mal porté » ne conduirait plus à la prison. Pour l’heure, la jeune rebelle demeure sous les verrous. Mais celle que certains surnomment déjà « la Rosa Parks persane » restera l’égérie d’une fronde iranienne au féminin. A Téhéran, ses admirateurs et admiratrices ont déjà pris le pli de déposer fleurs et poèmes sur le petit promontoir où elle a osé, le 27 décembre dernier, exhiber sa chevelure. À ISTANBUL, DELPHINE MINOUI
Un geste de résistance au féminin contre le pouvoir des mollahs