Dans la tête de... Martin Fourcade
A29 ans, Martin Fourcade est un extraterrestre dans sa discipline. Il est à ce jour l’athlète français le plus médaillé des Jeux d’hiver : double champion olympique de biathlon, dix fois champion du monde et six fois vainqueur de la Coupe du monde. En février, il sera le porte-drapeau de la délégation française en Corée du Sud. La tête d’affiche des 110 athlètes présents à Pyeongchang. Avec son franc-parler, le Catalan au mental d’acier et au caractère bien trempé, est aussi un jeune père de famille qui a les pieds sur terre et des rêves plein la tête *.
Participer pour la troisième fois aux Jeux olympiques, cela reste excitant ?
Toujours. Ces trois participations ne se ressemblent pas. Je suis à un moment différent de ma vie, je vais aborder les choses autrement qu’à Vancouver et à Sotchi. Je n’ai jamais été aussi bien dans ma tête.
Porter le drapeau de la France, ça veut dire quoi ?
Cela contribue à rendre l’expérience plus riche, différente. C’est un rôle très personnel, à inventer. Chacun a sa manière de l’incarner, Teddy Riner est très drôle. Quand on m’a accordé cet honneur, je me suis demandé si les gens n’allaient pas être déçus, je n’ai pas la même personnalité. Je ne ferai pas le tour des chambres !
Vous pouvez vous enflammer en regardant les autres ?
Oh oui, je suis un fan de sport, j’ai une vraie passion pour les sports olympiques, l’athlétisme, le vélo, le triathlon, la natation. Plus que le foot !
Quel « capitaine » serez-vous ?
J’y ai réfléchi. Pour moi, ce rôle a commencé bien avant la cérémonie. Etre sportif de haut niveau, c’est dur, certains athlètes sont blessés, d’autres ne sont pas sélectionnés. Mon rôle est de montrer qu’on ne les oublie pas, qu’ils ne sont pas mis de côté. J’essaie d’avoir un mot, un message, un geste pour eux aussi.
L’échec qui vous a le plus servi ?
L’échec, c’est une expérience. Souvent plus enrichissante qu’un succès. Celui qui m’a le plus servi, c’est celui du sprint aux Jeux olympiques de Vancouver. Il a changé ma façon d’aborder une course. Quand je suis arrivé là-bas, je n’étais pas incontestable et on m’a donné une position de départ qui n’était pas celle à laquelle j’avais droit. Depuis, j’ai passé mon temps à devenir incontestable pour que cela ne se reproduise jamais.
L’orgueil, c’est votre moteur ?
Ça a compté dans ma carrière. Je ne sais pas s’il faut appeler cela de l’orgueil ou de la fierté. Mais il permet d’avancer. J’ai vu dans ma chair ce que l’esprit pouvait réaliser, il m’a permis de trouver des ressources que je ne soupçonnais pas.
La tête sans les jambes ?
Oui, j’ai mesuré à de nombreuses reprises que ma tête pouvait faire la différence même si je n’étais pas parfait techniquement. En fin de saison, quand je demandais à mon corps de tenir, il tenait… mais après le dernier jour de compétition, je tombais malade. En décompressant, tout retombait.
Le mental, c’est essentiel ?
Tout le monde ne fonctionne pas de la même manière. J’ai beaucoup d’admiration pour les sportifs qui ont d’autres ressorts. Certains sont transparents sur une saison, mais ils gagnent le jour J. Je ne fonctionne pas comme ça. J’ai besoin d’être persuadé que je peux le faire pour le faire.
Prêt à tester le yoga, la méditation ?
Oh non ! Je suis très cartésien. Ma mère m’en a parlé, mais ça ne m’intéresse pas ! Pas maintenant. Ce n’est pas le contenu qui me gêne, mais l’exploitation qu’en font parfois des personnes malsaines pour abuser de la faiblesse de certains.
Vous le cartésien, vous savez quand vous vous arrêterez ?
Je n’ai pas encore décidé, mais ce ne sera pas dans sept-huit ans. Plutôt entre zéro et quatre ans. Je n’irai pas au-delà des prochaines olympiades. Etre sportif de haut niveau, cela représente beaucoup de contraintes. Avoir une hygiène de vie irréprochable, ne pas aller en boîte, ça ne me coûte pas. Mais je passe à côté de choses importantes pour moi. Ce sont des sacrifices personnels, j’ai deux petites filles, dont une de 8 mois. Je ne l’ai pas vue pendant la moitié de sa vie… C’est le plus dur, ne pas passer suffisamment de temps avec ma famille.
Tony Estanguet, triple champion olympique de canoë à la tête du Comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris, vous inspire-t-il ?
Bien sûr. Je suis un passionné de sport. Ce serait un rêve dans ma vie d’après de travailler dans cet univers-là. Je me suis impliqué dans la candidature de Paris 2024.
Votre livre de chevet ?
Jour JO, l’histoire de 25 champions olympiques.
Et pour vous évader ?
Une trilogie de romans policiers de Jean-Claude Izzo à Marseille, dans les calanques.
Un endroit où recharger ses batteries ?
Un lieu où la vue est dégagée.
Le jardin qui doit rester secret ?
Ma famille. PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLE PAPAZIAN * Mon rêve d’or et de neige, Marabout, 219 p., 18,90 €.