Livres/Le livre de Frédéric Beigbeder
★★★ ET MOI, JE VIS TOUJOURS, de Jean d’Ormesson, Gallimard, 280 p., 19 €.
Avec un titre en forme de clin d’oeil, Jean d’Ormesson offre son dernier cadeau : celui d’une mémoire universelle. Son personnage, dénommé Rha, naît à l’âge de pierre et nous prend par la main pour traverser deux millions d’années.
Les siècles passent à la vitesse d’un éclair, débordant d’anecdotes cocasses et de saillies finement aiguisées. Comme dans un jardin sur les rivages de la Méditerranée, on voit l’auteur déambuler avec aisance dans le grand tableau de l’humanité. Pour avoir aimé une sorcière rousse, contracté la peste, combattu à Parme dans l’armée de Frédéric II, le narrateur, tantôt homme, tantôt femme, meurt mille fois et ressuscite. Il fréquente les plus grands :
« Marco Polo et moi n’étions pas les premiers à être venus en Chine », écrit-il, ou encore, à propos de la mort précoce de Saladin : « L’histoire, hélas, ne fait pas ce qu’elle veut, et encore moins ce que je voudrais. » Le temps de sa vieillesse passionnée, Jean d’O n’a jamais cessé d’écrire, de corriger ses manuscrits à la main, de voyager avec les mots. « Le Juif errant est mon symbole, mon reflet le plus exact », confesse-t-il. Avec ce roman savoureux, retraite préparatoire à son ultime voyage, il rappelle combien cette tentation de mépriser l’homme lui a été étrangère. D’outre-tombe, il enjoint à ses contemporains de connaître cette histoire vaillante dont ils sont les otages et les héritiers. GUYONNE DE MONTJOU