Le Figaro Magazine

MAI 68 : L’ÉTRANGE VOYAGE DU GÉNÉRAL

-

Après plusieurs semaines d’affronteme­nts entre étudiants et policiers, la France se trouve au bord du gouffre politique à la fin du mois de mai 1968. Au pouvoir depuis dix ans, le général de Gaulle semble contesté de toutes parts – y compris dans son propre camp. Son annonce d’un référendum sur la participat­ion n’a suscité aucun enthousias­me, son vieil ennemi socialiste François Mitterrand s’est déclaré prêt à diriger un gouverneme­nt de crise et Georges Pompidou ne fait guère preuve d’énergie à le soutenir indéfectib­lement – on dit même qu’il envisage de démissionn­er. Dans la rue, rien n’indique que le mouvement de révolte estudianti­ne, auquel s’agrègent parfois des colonnes d’ouvriers, va s’arrêter, ce qui laisse perplexe et désabusé le chef de l’Etat : pour lui, cette révolte sans armes est moins une révolution que « l’éclatement d’une société d’abondance », menée par des jeunes gens qui « braillent non à la société de consommati­on alors qu’ils veulent en réalité jouir, bambocher et faire la chienlit sans contrainte », comme il le dit à son fils Philippe le soir du 27 mai. Deux jours après ce dîner survient l’improbable…

“Un vent de panique souffle sur Paris au matin du 29 mai. Des ministres arrivant à l’Elysée pour le traditionn­el Conseil du mercredi découvrent le palais désert. Personne ne les a prévenus, personne n’est là pour les informer ; et encore moins pour leur expliquer que le général de Gaulle a disparu ! Le préfet de police, Maurice Grimaud, s’inquiète, appelle l’Elysée et découvre que le général de Gaullee st parti à 11h 15, en hélicoptèr­e, pour Colombey les-Deux-Eg lis es. Il apprend bientôt qu’aucun hélicoptèr­e ne s’est posé à Colombey, mais – ce qui le rassure – qu’aucun appareil n’a été accidenté.

[…] Dès la mi-journée, le 29 mai, commencent les spéculatio­ns : où peut être passé de Gaulle s’il n’est pas arrivé à Colombey-les-Deux-Eglises ?Les uns l’imaginent au Trianon, à Versailles ; d’autres le croient à Marly, où la présidence a un discret pavillon de chasse ; certains le supposent à Brégançon ou à Taverny, le PC de la force de dissuasion…

Le ministre des Armées, Pierre Messmer, paraît être le mieux informé sur la destinatio­n possible du général de Gaulle. Il sait que le chef de l’Etat est parti en hélicoptèr­e vers l’est. Peutêtre pour Colombey-les-Deux-Eglises ; peut-être pour rencontrer l’un ou l’autre des généraux commandant une garnison de l’Est, Beauvallet à Metz ou Hublot à Nancy. L’hélicoptèr­e fait escale à la base aérienne de Saint-Dizier,

pour compléter le plein de carburant, puis reprend l’air. Mais, pour des raisons liées à la météorolog­ie, il disparaît des écrans radar. Messmer informe Pompidou, puis il le rappelle très vite : de Gaulle est retrouvé ! Massu vient d’annoncer à son ministre l’arrivée imminente du Président à Baden-Baden : quelques minutes plus tôt, le capitaine de frégate Flohic, l’aide de camp de l’Elysée, a demandé à Massu de préparer la piste d’atterrissa­ge de la résidence pour deux hélicoptèr­es ; ils s’y poseront d’un instant à l’autre…

[…] Vers 15 h 15, la première Alouette se pose sur la pelouse. En descendent le Général en civil, vêtu d’un costume sombre, et Mme de Gaulle, puis Flohic et les deux hommes d’équipage. Suivent, à bord du deuxième appareil, le médecin de l’Elysée, l’inspecteur de police Henri Puissant puis Roger Tessier, un des plus fidèles gardes du corps, et l’équipage. A peine descendu de l’hélicoptèr­e, de Gaulle marche vers Massu. Il lève les bras et dit à son hôte : « Massu, tout est foutu… Les communiste­s ont tout bloqué. Je ne commande plus rien. Donc, je me retire et, comme je me sens menacé en France ainsi que les miens, je viens chercher refuge chez vous, afin de déterminer que faire. » […] La nature du tête-à-tête de Gaulle-Massu restera longtemps secrète ; Massu ne le racontera que quinze ans plus tard, dans son livre Baden 68 ; une manière, selon lui, d’effacer certains commentair­es, douteux ou tendancieu­x, parfois polémiques. Ce sont ces rumeurs qui le conduisent, en 1983, à déroger à la règle fixée : il détient un secret d’Etat, qui aurait dû le rester, comme le lui avaient demandé Pompidou et Giscard d’Estaing. Désormais, il s’estime libéré et peut revenir sur leur dialogue du 29 mai : « Pour vous et pour le pays, vous ne pouvez renoncer de la sorte. Vous allez vous déconsidér­er par ce départ et ternir votre image. Tout ce qui a été fait en dix ans ne peut disparaîtr­e en dix jours. Vous allez libérer des vannes et accélérer le chaos que vous avez le devoir d’endiguer. Vous avez affaire à 15 000 individus décidés à porter chez nous une lutte qui se joue dans le monde entier. Vous êtes écoeuré, mais vous en avez vu d’autres depuis 1940. Vous devez vous battre jusqu’au bout, sur le terrain que vous avez choisi, même celui du référendum, si vous y tenez encore. Si vous passez le pouvoir, il faut que ce soit à la suite de la consultati­on populaire. Pour le permettre, ceux qui visent votre succession dans la légalité seront amenés à pousser au retour au travail dans les →

 ??  ?? Arrivé dans le plus grand secret la veille, le général de Gaulle repart le 30 mai 1968 en hélicoptèr­e de Baden-Baden, où il est venu voir le général Massu pour des raisons que celui-ci a longtemps tenues secrètes.
Arrivé dans le plus grand secret la veille, le général de Gaulle repart le 30 mai 1968 en hélicoptèr­e de Baden-Baden, où il est venu voir le général Massu pour des raisons que celui-ci a longtemps tenues secrètes.

Newspapers in French

Newspapers from France