Le Figaro Magazine

De notre correspond­ant… Jörg Hofmann

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La révolution sociale en Allemagne affiche le visage calme et rassurant de Jörg Hofmann. Cheveux gris et courts, chemise blanche et costume impeccable, lunettes discrètes à monture noire : il pourrait être cadre supérieur, patron de PME, ingénieur, professeur… Il est à la tête des métallos allemands. A 62 ans, Jörg Hofmann dirige depuis deux ans le syndicat IG Metall, fort de plus de 2 millions d’adhérents sur les 3,9 millions d’employés du secteur. Rien n’est possible sans lui. En Allemagne, pays de la cogestion, le bras de fer social passe toujours par la négociatio­n. Mais Jörg Hofmann menace de mettre un terme à la sérénité du dialogue.

Depuis le début du mois de janvier, IG Metall s’est lancé dans une rafale de « grèves d’avertissem­ent ». La semaine dernière, 376 000 employés dans 1 900 entreprise­s avaient déjà débrayé pour quelques heures. Les organisati­ons patronales sont prévenues : alors que les négociatio­ns salariales annuelles reprennent, le conflit sera dur si les métallos n’ont pas gain de cause. Aujourd’hui, IG Metall exige les dividendes de la prospérité. Il ne demande pas seulement 6 % de hausse de salaire mais aussi le droit, dans certaines conditions et pour une durée limitée dans le temps, à la semaine de 28 heures, contre plus de 39 heures de travail effectif actuel. Jörg Hofmann n’exclut pas des grèves plus longues voire illimitées. Aussi dures qu’en 1984, lorsque le syndicat s’est battu pour obtenir la réduction du temps de travail à 35 heures. A l’époque de ce conflit social exceptionn­el, Jörg Hofmann venait de terminer ses études d’économie après avoir songé un temps à l’agricultur­e. Il n’a jamais travaillé dans une usine, comme ses prédécesse­urs à la tête d’IG Metall. Son parcours est atypique. Il y a gravi tous les échelons internes comme un expert : en nouvelles technologi­es et en innovation­s, expert surtout en négociatio­ns.

C’est toute sa carrière de militant : Jörg Hofmann a toujours tout négocié, de la formation au temps de travail. Retors, il connait les rouages du syndicalis­me allemand, capable de pousser loin le compromis. Le dialogue social est « un facteur de compétitiv­ité », dit-il. Le secteur de la métallurgi­e, prospère, y a gagné : le salaire brut moyen y dépasse 3 000 euros par mois. Mais Jörg Hofmann est aussi capable de durcir le ton s’il le faut. Au début des années 2000, les centrales ont accepté les efforts demandés par le gouverneme­nt SPD-Verts de Gerhard Schröder pour moderniser l’économie allemande. Pour Jörg Hofmann, ce fut une erreur qui a conduit à « plus de précarité » dans le monde du travail. A l’époque, il n’était qu’un salarié administra­tif du syndicat et un responsabl­e local. Il a assisté à la crise de la social-démocratie allemande. L’Agenda 2010 est l’une des raisons du succès des populistes de l’AfD, a-t-il expliqué après les élections de septembre.

Pour Jörg Hofmann, il est l’heure de penser différemme­nt. « Au lieu d’une flexibilit­é déterminée par d’autres, nous avons besoin d’une plus grande liberté de choix en ce qui concerne les heures de travail des employés », a-t-il expliqué en s’appuyant sur les revendicat­ions venues de la base : plus de temps pour soi, pour se former, pour sa famille, pour un proche malade… Les revendicat­ions d’IG Metall ont fait tomber le patronat de sa chaise. Les entreprise­s, qui se battent déjà pour attirer une main-d’oeuvre rare, n’imaginent pas comment réduire le temps de travail dans leurs établissem­ents. Les patrons dénoncent une usine à gaz. Jörg Hofmann assure ne pas être un idéaliste. En économiste, il défend la croissance et l’augmentati­on de la productivi­té comme « conditions préalables pour répartir les richesses ». Il ne croit pas à la décroissan­ce ou au déclin irréversib­le de la productivi­té dans les pays développés. « Ces thèses sont une menace pour l’Etat providence », dit-il. Il veut se préparer aux défis de l’économie de demain, par exemple la digitalisa­tion qui rendra le travail plus rare. « Nous ne pouvons pas l’empêcher. Alors nous devons la façonner », a-t-il précisé. Il a une idée précise du monde qu’il imagine. Nous verrons si sa méthode pour y arriver fonctionne­ra.

À BERLIN, NICOLAS BAROTTE

 ??  ?? A 62 ans, il est à la tête d’IG Metall, la plus puissante centrale syndicale allemande, avec plus de 2 millions d’adhérents. Il est prêt à appeler à la grève générale si le patronat ne plie pas sur une réduction du temps de travail.
A 62 ans, il est à la tête d’IG Metall, la plus puissante centrale syndicale allemande, avec plus de 2 millions d’adhérents. Il est prêt à appeler à la grève générale si le patronat ne plie pas sur une réduction du temps de travail.

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