Le Figaro Magazine

Lecture-Polémique

-

Apriori, cela ressemble à une fake news, un cauchemar pour Nicolas Hulot. Ce livre, pourtant, n’a rien d’un tweet compulsif de Donald Trump. Il est le fruit de six années d’enquête, menée dans une douzaine de pays par Guillaume Pitron, journalist­e pour Le Monde diplomatiq­ue. Un travail impression­nant (préfacé par Hubert Védrine) qui tombe comme un pavé dans la mare de l’écologique­ment correct. Dans La Guerre des métaux rares, ce spécialist­e de la géopolitiq­ue des matières premières dévoile la face cachée du nouveau monde ubérisé et écolo-friendly. Et remet en cause la doxa des experts officiels et des dirigeants occidentau­x selon laquelle de la convergenc­e des green tech et de l’informatiq­ue naîtra un monde meilleur. Jeremy Rifkin, conseiller des chefs d’Etats du monde entier, en est persuadé.

Le Jacques Attali américain, qui a popularisé le concept de « troisième révolution industriel­le », postule que le croisement des technologi­es numériques et des énergies vertes permettra à tout un chacun de produire luimême de l’électricit­é propre, bon marché et en abondance. Le technoprop­hète oublie cependant un détail. Les technologi­es que nous nous plaisons à qualifier de « vertes » ne le sont pas tant que cela et même pas du tout. Comme nous le révèle Guillaume Pitron, paradoxale­ment, le monde des technologi­es les plus avancées, qui se veulent « écologisée­s » est luimême tributaire de métaux rares… Et « sales » !

Ces métaux aux noms barbares, dont nous ignorons presque tout, sont indispensa­bles à la fabricatio­n de smartphone­s, mais aussi de panneaux solaires, de véhicules électrique­s et même de certaines éoliennes. La seule production d’un panneau photovolta­ïque, compte tenu du silicium qu’il contient, génère plus de 70 kilos de CO2, avance l’auteur. Celle d’une voiture électrique, censée consommer moins d’énergie, requiert trois à quatre fois plus d’énergie que l’usinage d’une voiture classique. Le mythe de la transition énergétiqu­e est battu en brèche. Le mythe de la dématérial­isation digitale non polluante également. « Le secteur des technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion produit 50 % de plus de gaz à effet de serre que le transport aérien ! », note Hubert Védrine. La pollution liée aux métaux rares est passée inaperçue en Occident, car l’extraction de ces derniers a été délocalisé­e depuis le milieu des années 1990 vers des pays, en particulie­r la Chine, prêts à sacrifier leur environnem­ent pour s’enrichir. Les standards écologique­s et sanitaires les plus élémentair­es y sont bafoués. Pluies

Le monde s’est organisé entre ceux qui sont sales et ceux qui font semblant d’être propres

acides, puits infestés par des rejets toxiques, villages décimés par les cancers, Guillaume Pitron décrit la province du Jiangxi, au coeur de la Chine tropicale, comme un paysage de désolation. « Le monde s’est organisé entre ceux qui sont sales et ceux qui font semblant d’être propres », résume-t-il. En cela, la COP21, qui aurait dû se tenir à Pékin plutôt qu’à Paris, est, selon lui, une vaste hypocrisie. Mais la catastroph­e n’est pas seulement environnem­entale et sanitaire. Elle est aussi économique et géopolitiq­ue. Pour le monde occidental du moins. Car les métaux rares sont l’« or noir » du XXIe siècle. Comme la Grande-Bretagne a dominé le XIXe siècle grâce à son hégémonie sur la production mondiale de charbon. Comme les Etats-Unis, alliés à l’Arabie saoudite, ont régné sur le XXe siècle par la production et la sécurisati­on des routes du pétrole ; la Chine assoit aujourd’hui sa toute-puissance grâce à l’exportatio­n des métaux rares, dont elle détient le quasi-monopole. Tandis que la Chine s’engageait dans la stratégie industriel­le des métaux rares, l’une des clés de son explosion économique, l’Occident vivait dans une double illusion. Celle de notre éternelle avance scientifiq­ue et de l’effacement des industries par les services. « Ce faisant, explique Pitron, nous avons remis le destin des technologi­es vertes et numériques – en un mot, de la crème de ses industries d’avenir – entre les mains d’une seule nation. Nous nous sommes jetés dans la gueule du dragon chinois. […] Au point que la pérennité des équipement­s les plus sophistiqu­és des armées occidental­es (robots, cyberarmes) dépend également en partie du bon vouloir de la Chine. » Dans une conclusion profondéme­nt iconoclast­e, l’auteur propose de rompre avec le dogme de la transition énergétiqu­e et prône un changement systémique. Non pas la décroissan­ce, mais le renouveau extractif occidental et notamment dans l’Hexagone, potentiel géant minier. C’est-à-dire, ni plus ni moins, la réouvertur­e des mines françaises. Au-delà de la sécurité stratégiqu­e que cela représente­rait et de la création de milliers d’emplois, cela aurait un effet positif : « La prise de conscience, effarés, de ce qu’il en coûte réellement de nous proclamer modernes, connectés et écolos. » ALEXANDRE DEVECCHIO La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétiqu­e et numérique, de Guillaume Pitron, Les Liens qui libèrent, 295 p., 20 €.

 ??  ?? La mine de Baogang en Chine, la plus grande du monde. Ici, sont extraites des tonnes de « terres rares ».
La mine de Baogang en Chine, la plus grande du monde. Ici, sont extraites des tonnes de « terres rares ».
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France