L’affiche/Les passe-temps d’Eric Neuhoff
Enfin, elle l’a trouvé, son grand rôle ! Grâce à la romancière disparue en 1996, Marguerite Duras, Mélanie Thierry a pu se glisser dans un costume taillé à la mesure de son talent. Dans La Douleur *, le film pour lequel elle a retrouvé Emmanuel Finkiel (Je ne suis pas un salaud), elle campe plus précisément la Marguerite qu’on n’appelait pas encore Duras. Celle qui, en juin 1944, tenta par tous les moyens de faire libérer l’écrivain Robert Antelme des griffes des occupants allemands. Comme d’un homme à l’autre – celui qu’elle attend mais aussi un résistant complice (Benjamin Biolay) ou un agent de la Gestapo sensible à son charme (Benoît Magimel) –, elle passe, en un battement de cils, de la douceur à la violence, de l’incertitude à la détermination.
Si elle distille ce pouvoir depuis vingt ans dans la peau de grandes héroïnes réelles ou fictionnelles (Esmeralda, la princesse de Montpensier, Ombline, etc.) ou de seconds rôles marquants (L’Autre Dumas, Comme des frères), parions que de cette Douleur, Mélanie Thierry tirera tous les honneurs. En attendant, elle apparaîtra bientôt en paysanne dans Le vent tourne, de Bettina Oberli. La tête dans les étoiles mais les pieds sur terre.
CLARA GÉLIOT * En salles le 24 janvier.
THÉÂTRE
LES MESGUICH RÉGALENT C ’est toujours un bonheur de voir qu’une pièce, avec le temps, ne prend pas une ride. Ce Souper * de Jean-Claude Brisville, qui, comme on le sait, confronte deux des plus brillants coquins du XIXe siècle – Fouché et Talleyrand –, donne toujours le même plaisir, pour peu qu’on aime l’esprit français, l’Histoire qui s’anime, l’intelligence qui mousse, la culture qui s’incarne. Cette fois, ce sont les Mesguich, père et fils, qui remplacent Claude Brasseur et le si regretté et génial Claude Rich. William, le fils, est Fouché. Daniel, le père, est Talleyrand. C’est un comédien subtil et excellent. Il joue, pour notre bonheur, avec une vérité et un réalisme que, metteur en scène, il a passé son temps à combattre. C’est réjouissant à ce titre-là aussi…
JEAN-LUC JEENER * Théâtre de Poche, Paris VIe.
EXPO
À LA GUERRE COMME À LA GUERRE Q uoi de commun entre un légionnaire de César, un grognard de l’Empire et un marsouin de l’armée française en 2018 ?
Beaucoup de choses, en vérité. Comme le montre la belle exposition du musée de l’Armée aux Invalides *, si les techniques de guerre ont considérablement évolué, la condition du soldat en campagne, elle, conserve d’incroyables permanences. Marcher, se nourrir, se vêtir, survivre, souffrir du mal du pays : tel a toujours été le quotidien de ces hommes portant sur eux de véritables armoires. Ouvertes, elles dévoilent ici bien des surprises. J.-CH. B. * « Dans la peau d’un soldat. De la Rome antique à nos jours », jusqu’au 28 janvier.
FESTIVAL
ENKI, R.J., SIRI ET LES AUTRES
Pour sa septième édition au Havre, le festival Le Goût des autres met le cap sur New York. Plus précisément : sur les littératures new-yorkaises, incarnées notamment par Siri Hustvedt et Paul Auster, invités d’honneur de l’événement. Lectures, dialogues, concerts, ateliers et masterclass se succéderont jusqu’à dimanche – l’occasion de voir et d’entendre aussi R.J. Ellory, Keren Ann, Maylis de Kerangal, Thierry Frémont. Clou du spectacle : la carte blanche accordée à Enki Bilal (photo). L’auteur de BD et réalisateur « franco-ex-yougoslave » redessinera nuitamment (à partir de 23 h, vendredi 19) les contours de la piscine Les Bains des Docks, accompagné du chanteur Christophe.
Aux absents il restera les yeux non pour pleurer mais pour dévorer son dernier album, Bug (Casterman), extraordinaire plongée graphique et littéraire dans un monde futur où le monde numérique se serait évanoui à la suite d’un crash informatique. Un livre aussi élégant que vertigineux dans ses réflexions philosophiques et anthropologiques. J.-CH. B.