La page d’histoire de Jean Sévillia
Ils furent peu nombreux, les Allemands qui eurent dès le départ conscience du danger national-socialiste, et le courage de s’y opposer. Ni dans les Eglises protestantes, malgré le puissant contre-exemple du pasteur Dietrich Bonhoeffer, arrêté en 1943 et pendu en 1945 ; ni chez les catholiques, même si des dizaines de prêtres et de laïcs allemands ou autrichiens ont payé de leur vie leur fidélité à la foi chrétienne face à la barbarie hitlérienne. En 2005, Benoît XVI a béatifié Clemens August von Galen, qui fut évêque de Münster de 1933 à 1946, en le saluant comme « un opposant intrépide au régime nazi ». Le personnage est mal connu de ce côté-ci du Rhin, et c’est pourquoi il faut se féliciter de la biographie, écrite à partir d’archives et de sources inédites, que lui consacre Jérôme Fehrenbach.
Né en 1878 dans une famille noble de Westphalie, fils d’un député au Reichstag qui défendit l’Eglise catholique lors du Kulturkampf, ordonné prêtre en 1904, von Galen exerce son ministère pendant vingtcinq ans à Berlin. Nommé curé à Münster en 1929, ce conservateur constate avec désespoir la dérive qui mènera une bonne partie de la noblesse et de la haute bourgeoisie, son milieu social, à la collusion avec les nationaux-socialistes. Consacré évêque en 1933, il entame, à travers son enseignement, un combat sans faille contre l’idéologie nazie, notamment contre les thèses d’Alfred Rosenberg. En 1937, convoqué au Vatican avec un petit groupe de prélats allemands, il contribue, avec le secrétaire d’Etat Pacelli (le futur Pie XII), Mgr von Preysing, évêque de Berlin, et Mgr von Faulhaber, cardinalarchevêque de Munich, à l’encyclique antinazie Mit brennender Sorge qui, signée par Pie XI, sera lue le dimanche des Rameaux dans les 15 000 églises d’Allemagne. Pendant l’été 1941, les trois sermons (reproduits ici) qu’il prononce afin de dénoncer l’arbitraire de la Gestapo et la politique d’euthanasie du régime exercent un tel retentissement qu’ils forcent Hitler à faire machine arrière. Surnommé « le Lion de Münster » pour son opiniâtreté, Clemens August von Galen sera créé cardinal par Pie XII, en 1946, mais mourra quelques semaines plus tard. « Sa vertu fondamentale, écrit Fehrenbach, c’est la foi, et la persévérance dans la piété. » Un beau livre sur une magnifique figure.
Von Galen. Un évêque contre Hitler, de Jérôme Fehrenbach, Editions du Cerf, 418 p., 26 €.