Le Figaro Magazine

Le bloc-notes de Philippe Bouvard

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Pardonnez-moi ce vocatif peu usité dans l’univers enchanté du spectacle où tout le monde se tutoie et s’étreint. Mais, nonobstant un long parcours profession­nel, je n’ai jamais eu l’heur de vous rencontrer. Je n’en ai même pas exprimé le désir tellement votre air si convenable m’intimidait. J’avais beau savoir qu’un chien regarde bien un évêque, je ne pouvais oublier la distance séparant un ver de terre d’une étoile. Je vous situais au-dessus de nos turpitudes et à l’écart de nos mesquineri­es. Vous venez de me rassurer en inquiétant beaucoup de monde. Votre éloge de la drague, fût-elle insistante et maladroite, a été perçu comme un mauvais coup porté à un certain féminisme ne se cachant plus de rêver d’une société sans hommes. Vous faites partie de ces femmes qui déjà autorisées par la loi à se marier entre elles ambitionne­nt de passer des baldaquins aux laboratoir­es pour donner naissance à des enfants sans papa. De toutes parts, on vous attaque, on vous condamne, on vous exécute.

N’en tenez nul compte. Le courage est de votre côté. Non seulement vous oeuvrez pour la réconcilia­tion des deux principaux sexes mais encore vous ne craignez pas de rappeler l’existence du plaisir que peuvent procurer des compliment­s parfois patauds mais toujours sincères. Le hasard a voulu que je voie – et avec un retard de cinquante ans m’interdisan­t de jouer les cinéphiles – Belle de jour au fil duquel bien que nantie d’un beau mari médecin vous faisiez chez Madame Anaïs des heures supplément­aires avec des amants de passage beaucoup moins reluisants. La liste de vos vraies conquêtes constitue un merveilleu­x générique encore qu’elle confirme que les gens qui exercent le même métier préfèrent souvent parler d’amour que de travail. Les minables de banlieue vont-ils se croire encouragés à vous faire des propositio­ns malhonnête­s ? Quelle contenance adopterez-vous lorsque sur les Champs-Elysées un caïd sans conversati­on vous demandera l’heure ou du feu ? La blonde divine va-t-elle devenir Notre-Dame des machos ? N’est-ce pas le rôle le plus délicat de votre carrière ? Car le spectre de Weinstein, qui a quitté son bureau de Hollywood pour la clinique de désintoxic­ation ayant mis Michael Douglas sous bromure, est omniprésen­t dans les esprits. Le législateu­r se montrera de plus en plus sévère qui finira par sanctionne­r le baisemain et inscrire le droit à l’orgasme dans la Constituti­on. Il vous faut aussi faire face à toutes ces infortunée­s qui ont trouvé un exutoire dans le statut de victime. Conseiller­ez-vous aux femmes battues de prendre des cours de judo ? Quels arguments déploierez-vous quand la statistiqu­e affirmera que chez nous tous les trois jours une épouse ou une concubine succombe sous les coups de son compagnon ? Puiserez-vous dans vos expérience­s personnell­es le souvenir de la façon dont vous avez calmé des don Juans qui n’étaient pas tous doux comme des agneaux ? Peut-être avez-vous joué alors d’une célébrité qui dépassait leur autorité. Plus probableme­nt, avez-vous su faire le bon choix. Mais on doit compter avec l’alcool et avec la jalousie qui font voir également double. Reste le crime de viol que vous dénoncez comme tel. Mais sans dire comment la proie peut échapper au bourreau. Je comprends que le projet de loi qui, en Suède, envisage sérieuseme­nt de subordonne­r toute relation sexuelle à un consenteme­nt manuscrit de la dame vous mette en transe. Quant à moi je ne m’imagine pas (très rétrospect­ivement) écumant les alcôves avec un carnet à souches ! S’il s’agit de mettre les rieurs dans votre camp, je vous conseille d’évoquer la question de l’initiative dans la comédie-ballet de la séduction. Si l’expression du désir n’est plus un apanage masculin, êtes-vous prête à accoster dans la rue ou ailleurs un mâle qui vous plaît ? Las ! Weinstein et ses peu recommanda­bles semblables ont commis d’irréversib­les dégâts. Combien de grandes histoires d’amour et de petits flirts réussis seront-ils nécessaire­s pour inverser la tendance ?

Ne m’en veuillez pas, je vous prie, d’avoir abusé par écrit de ce droit d’importuner oralement dont vous souhaitiez faire bénéficier les représenta­nts d’un sexe longtemps prétendu fort et aujourd’hui complèteme­nt décrié. Le grand dragueur, lui, est à jamais tricard. Si votre campagne porte ses fruits, un modeste harceleur pourra de nouveau vous offrir impunément un petit noir avec l’arrière-pensée d’un pousse-café. Vous demeurerez dans nos mémoires comme la bonne fée qui a relevé le pécheur se traînant à ses pieds et l’a pris dans ses bras. Puis-je, chère Catherine, pour terminer moins cérémonieu­sement que j’ai commencé, déposer un chaste baiser sur un front au demeurant plus pur que le puritanism­e ?

ADRESSE À ME CATHERINE DENEUVE, AVOCATE D’UN SEXE DÉCRIÉ

La blonde divine va-t-elle devenir Notre-Dame des machos ?

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