BONS À TIRER
Les éditeurs meurent aussi. Il n’y a pas que les chanteurs et les écrivains. Paul OtchakovskyLaurens s’est tué dans un accident de voiture, comme un romancier des années soixante. Le drame s’est passé à Marie-Galante, comme dans une chanson de Voulzy. Ses initiales étaient sa marque de fabrique. Dira-t-on P.O.L comme on dit NRF (BHL est prié de quitter ces lignes au plus vite) ? Dans son catalogue se récapitulaient Duras, Carrère, Rolin, Darrieussecq. Tout cela très chic, de qualité. L’homme a beaucoup été salué. Le professionnel est déjà regretté. La presse s’est moins penchée sur la disparition de Bernard de Fallois. C’est bon signe. La stature du bonhomme dépassait la toise du journalisme moyen. Il était d’une autre époque, mais il continuait à s’intéresser à la sienne. Il avait tout vu, compris le reste. On ne la lui faisait pas. Quand on a été le plus jeune agrégé de France, peu de choses vous surprennent. Frappait d’emblée chez lui une intelligence aiguisée. Cet oeil qu’il avait. Il lui avait permis de dénicher des inédits de Proust, ce qui n’était pas rien. Développer Le Livre de Poche, alors que les âmes sensibles se bouchaient les narines devant ce phénomène nouveau, lui sembla tomber sous le sens. Modeste, il ne signa, en gros, qu’un essai (brillant) sur Simenon et quelques préfaces. Il aimait le cirque. Cette folie ne fut pas la seule : il publia un roman de Giscard. Quelle chance ont eue les élèves de Stanislas de l’avoir comme professeur de français ! Avec ses costumes à fines rayures, ses cheveux calamistrés, il déquillait les pompeux d’une formule. On attendait ses Mémoires. Il a toujours refusé de céder aux sirènes. On lui sait gré aussi d’avoir accepté le manuscrit de La Guerre à neuf ans. Pascal Jardin fit son portrait dans un livre suivant. Il paraît que le héros d’Affaires étrangères de Jean-Marc Roberts a été inspiré par lui. Fallois n’était pas un éditeur : c’était un personnage.
Fallois avait tout vu, compris le reste