Le Figaro Magazine

Vu de l’étranger... Avesta Khabour

- VINCENT JOLLY

Elle s’appelait Avesta Khabour. Elle avait 20 ans. Et vous ne la connaissie­z sans doute pas. Comme des milliers de jeunes femmes kurdes syriennes, Avesta s’était engagée corps et âme dans la lutte contre Daech. Depuis deux ans, elle participai­t, aux côtés des forces de la coalition, à libérer ces territoire­s sous l’emprise de l’Etat islamique. Elle participa, notamment, à la libération de la capitale de l’organisati­on islamique, Raqqa, dont la bataille dura près d’un an. Avesta Khabour, comme l’ensemble des combattant­es et des combattant­s kurdes syriens, fut l’alliée indéfectib­le de l’Occident et de la France dans la lutte contre le terrorisme. Il y a deux semaines, Avesta Khabour a été tuée au combat. Et ce n’est pas sous les coups d’un ennemi radicalisé que la jeune femme est morte, mais face à une colonne de chars de l’armée turque qui, soutenue par l’Armée syrienne libre (ASL, une milice proturque affiliée à al-Qaida mais considérée comme « modérée » par une partie de la presse internatio­nale), franchissa­it la frontière et s’engageait dans l’enclave kurde d’Afrin, au nord-ouest de la Syrie, l’un des trois cantons du Rojava (Kurdistan syrien). Une offensive terrestre et aérienne commencée le 20 janvier dernier et qui, à l’heure où nous bouclons nos pages, a coûté la vie à plus de 300 soldats et civils kurdes – et 600 militaires et miliciens turcs. Avesta Khabour est morte en guerrière au nom de cette liberté qu’elle chérissait tant.

« Nous ne reculerons pas, nous irons à Afrin », a déclaré devant les caméras de télévision le président Erdogan – affirmant donc la volonté d’une opération militaire que le gouverneme­nt de Damas, quant à lui, n’hésite pas à qualifier d’« invasion ». Cette incursion dans l’enclave d’Afrin fait suite à la volonté des Etats-Unis, à la mi-janvier, de créer une nouvelle force frontalièr­e de 30 000 hommes avec les Forces démocratiq­ues syriennes (FDS, composées très largement de combattant­s kurdes) au niveau de la frontière avec la Turquie. Jugeant « inacceptab­le » et

« inquiétant­e » cette décision, Recep Tayyip Erdogan a rapidement répondu par cette opération ironiqueme­nt baptisée « Rameau d’olivier » par Ankara.

« Cette force frontalièr­e devait former une barrière infranchis­sable d’une importance stratégiqu­e pour la sécurité de l’Europe et de la France », explique Patrice Franceschi, écrivain et collaborat­eur du Figaro Magazine engagé depuis cinq ans auprès des Kurdes de Syrie. « Et il y a, dans ce silence assourdiss­ant des pays occidentau­x, une faute morale et politique. »

Politique car il en retourne, indirectem­ent, de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité de la France. Morale car, pour l’instant, Emmanuel Macron n’a fait qu’interpelle­r son homologue turc le mettant en garde des risques d’une

« invasion de la Syrie ». « S’il s’avérait que cette opération devait prendre un autre tour qu’une action pour lutter contre un potentiel terroriste menaçant la frontière turque et que c’était une opération d’invasion, à ce moment, cette opération nous pose un problème réel », a déclaré le chef de l’Etat dans une interview donnée au Figaro. Une réaction en demi-teinte et ambiguë sur l’emploi du terme « potentiel terroriste » : car si le PKK (le Parti des travailleu­rs kurdes) implanté en Turquie est effectivem­ent considéré comme un groupe terroriste par les Etats-Unis et l’Europe, les forces des YPG (Unités de protection du peuple) ont, quant à elles, été une pièce maîtresse de la victoire contre Daech. « On est en train d’abandonner nos alliés, poursuit Patrice Franceschi.

Les jeunes filles comme Avesta Khabour se sont battues à nos côtés. Elles luttent pour la laïcité, l’égalité entre les hommes et les femmes. En laissant faire, nous les trahissons. » Dans le Rojava, un cimetière militaire vient d’être baptisé Avesta Khabour, pour commémorer ce que ses frères et ses soeurs des YPG considèren­t comme un acte de bravoure.

On abandonne aux chars turcs ces Kurdes qui ont combattu Daech

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(le Kurdistan syrien) après avoir participé à la libération de Raqqa, ancien fief de l’Etat islamique. Elle a été tuée par l’armée turque qui a lancé une offensive contre...
Cette jeune femme de 20 ans combattait aux côtés des troupes kurdes du Rojava (le Kurdistan syrien) après avoir participé à la libération de Raqqa, ancien fief de l’Etat islamique. Elle a été tuée par l’armée turque qui a lancé une offensive contre...

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