Le Figaro Magazine

VISITE GUIDÉE AU KREMLIN

Une partie de la forteresse rouge de Moscou se visite toute l’année. Promenade parmi ses églises, ses palais et ses musées, qui recèlent certains des plus beaux trésors de la sainte Russie.

- PAR JEAN-CHISTOPHE BUISSON

Par où commencer ? Que voir ? Que ne faut-il pas manquer ? Au contraire du palais de l’Elysée, à Paris, et de la plupart des sièges du pouvoir politique dans le monde, celui de la Russie, à Moscou, se visite. En partie, certes, puisque plusieurs bâtiments disséminés sur les 27 hectares entourés des célèbres murs de briques rouges sont totalement fermés au public. Mais, après avoir arpenté la place Rouge, encadrée par le musée national d’Histoire, le mausolée de Lénine, la cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureu­x et l’ancien Goum transformé en supermarch­é du luxe, ce qui reste accessible à l’intérieur du Kremlin est suffisamme­nt vaste pour qu’on se pose en effet quelques questions pratiques avant de pénétrer, par la tour Koutafia, depuis le jardin Alexandrov­sky, ou par la tour Borovitska­ya, dans cette aire où l’histoire du pays (et du monde) s’est écrite, parfois en lettres de sang, au fil des siècles. Outre le jardin intérieur, où Youri Gagarine planta un chêne (toujours en excellente santé) à son retour de l’espace en 1961, les façades des bâtiments interdits derrière les murs desquels travaillen­t Poutine, son gouverneme­nt et ses services plus ou moins secrets, on peut admirer et visiter plusieurs églises et musées recelant de nombreux trésors. Des églises ? Mais oui. Si l’on associe spontanéme­nt le Kremlin à la puissance politique, quelques pas à l’intérieur de la « forteresse » suffisent à se souvenir que celle-ci fut aussi (et surtout ?) le siège de l’Eglise orthodoxe russe dès la fin du Moyen Age. Certes, de nombreux vestiges de cette identité (notamment un couvent, un monastère et une chapelle) ont disparu, victimes entre autres des révolution­naires de 1917 qui, non contents d’ôter par exemple l’icône du Christ installée au-dessus de la tour Spasskaïa, ancienne entrée d’apparat du Kremlin, fichèrent des étoiles rouges sur plusieurs des 19 tours de l’enceinte (elles y sont toujours…). Mais Dieu n’est pas totalement mort. Il est même au coeur des lieux : place des Cathédrale­s, autour de laquelle cinq édifices à Sa gloire écrasent de leurs ombres blanches majestueus­es le visiteur, croyant ou non. Surmontée de cinq coupoles dorées, la cathédrale de la Dormition (ou de l’Assomption) est la plus impression­nante des églises du Kremlin. Bâtie par un architecte italien à la fin du XVe siècle, elle a survécu aux sabots des chevaux de Napoléon (qui en avait fait une écurie !), à la furie anticléric­ale des Rouges et aux obus allemands de la Seconde Guerre mondiale pour offrir un spectacle unique. De quoi se compose-t-il ? D’abord du trône en bois du Monomaque. Lieu de prière conçu pour Ivan le Terrible, il est orné de basreliefs relatant la réception d’un empereur byzantin par un prince russe et repose sur quatre supports en forme d’animaux qui symbolisen­t les quatre royaumes de notre monde. L’iconostase de la cathédrale compte 69 pièces dont une Sainte Vierge et un saint Georges datant du XIIe siècle, mais aussi un Christ en robe d’or et une impression­nante Dormition montrant des apôtres volant sur un nuage vers le lit de mort de la mère de Dieu. Sans oublier les tombeaux et les châsses contenant les reliques des principaux patriarche­s de

l’Eglise russe disposés le long des murs peints de la cathédrale. Ceux-ci ont été réalisés par un bataillon de 150 peintres qui ont créé plus de 250 compositio­ns mettant en scène 2 000 figures religieuse­s. Y sont évoqués la vie de Jésus et de la Vierge, le Jugement dernier et des conciles oecuméniqu­es. Autant de raisons qui expliquent la vénération de ce lieu de culte où Ivan le Terrible se maria, où la princesse allemande Sophie von Anhalt-Zerbst se convertit pour devenir Catherine II et où le tsar Alexandre Ier se déplaça en grande pompe pour former le voeu de repousser Napoléon Ier…

Comme ses voisines de l’Annonciati­on et de l’ArchangeSa­int-Michel, la cathédrale de la Dormition est dépourvue de campanile : le clocher d’Ivan-le-Grand en fait office. S’élevant à 81 mètres de haut, dominant la place des Cathédrale­s, il est visible à des dizaines de kilomètres – les tsars avaient même interdit qu’un bâtiment lui fût supérieur en taille à Moscou. Construit au XVIe siècle (là encore par un Italien), agrandi au XVIIe, il fut plus tard flanqué d’une petite église. La cloche qui surplombe sa nef centrale est lourde (65 tonnes) mais trois fois moins que celle qu’on découvre au pied du clocher, posée à l’extérieur de l’édifice. Tsar kolokol

(« la cloche Reine ») est le plus gros maître-bourdon du monde. Six mètres de haut et de diamètre, ornée de portraits et de textes dessinés et rédigés au XVIIIe, elle est amputée →

→ d’un triangle de bronze, stigmate de sa chute spectacula­ire après un incendie. Quelques mètres plus loin, un autre « tsar-objet » : Tsar Pouchka, le « roi des canons ». Près de 40 tonnes, un calibre de 890 mm (mais on ignore s’il a jamais envoyé le moindre obus), il révèle le savoir-faire d’ingénierie militaire russe au XVIe siècle. Il a été commandé par Fédor Ier, fils d’Ivan le Terrible, qui, dit-on, n’était pas peu fier de figurer en bas-relief sur le canon…

Cet incroyable canon est posé devant l’église des DouzeApôtr­es, accolée au palais des Patriarche­s. Bâti pour le patriarche Nikon, il abrite une des plus belles collection­s de l’art russe au XVIIe dans une salle somptueuse qui servit longtemps de lieu de réception pour les tsars : la salle de la Croix. S’y tient une exposition permanente d’objets (mobilier, vaisselle religieuse, bijoux, habits) qui restitue parfaiteme­nt le temps des premiers Romanov.

Le palais des Armures, lui, est une splendeur pour les yeux.

UN LIEU CHARGÉ D’HISTOIRE POLITIQUE ET RELIGIEUSE

Paradoxale­ment, ce n’est pas devant les armures qu’on s’attarde,maisdevant­letrône(étonnammen­t)modested’Ivan le Terrible, les carrosses ouvragés (notamment celui du maire de Briansk en 1640, avec ses tentures de velours extérieure­s et ses fenêtres en mica ; celui créé par le Français Bregtheil pour Catherine II, avec ses incroyable­s motifs mythologiq­ues ; celui, ultra-rococo, offert à l’impératric­e Elisabeth Ire par le roi de Prusse qui en pinçait pour elle), les cadeaux parfois très baroques offerts aux tsars par les ambassadeu­rs étrangers, quelques couronnes (ne pas manquer celle, en or, de Vladimir Monomaque) et les oeufs de Fabergé, aux tailles et aux décoration­s plus invraisemb­lables les unes que les autres. Quant aux amateurs de tout ce qui brille, ils ne manqueront pas, dans le même bâtiment que le palais des Armures, le Fonds des diamants. Cette collection de bijoux, joyaux, couronnes et sceptres ayant appartenu aux couples impériaux russes regorge de pièces insolemmen­t éblouissan­tes (au sens propre et au sens figuré). La plus impression­nante ? Le diamant de 190 carats offert à Catherine II par son généreux amant et conseiller Grigori Orlov. Mais on y découvre aussi un lingot d’or de 36 kilogramme­s et le plus grand saphir taillé du monde (258 carats). Au Kremlin, les diamants sont éternels…

■ JEAN-CHISTOPHE BUISSON (À MOSCOU) Le Kremlin se visite tous les jours, de 10 h à 17 h, sauf le jeudi. Billet d’entrée pour l’ensemble architectu­ral (jardin, églises, Palais des Patriarche­s, clocher d’Ivan-le-Grand). Billet supplément­aire pour le musée des armures et le fond des diamants.

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11. Ancien Sénat : siège de l’administra­tion présidenti­elle. 12. Ancien Arsenal : lieu de stationnem­ent du régiment de sécurité présidenti­elle.
13. Palais d’Etat (ex-Palais des congrès) : construit dans les années...
10. Mausolée de Lénine, place Rouge. 11. Ancien Sénat : siège de l’administra­tion présidenti­elle. 12. Ancien Arsenal : lieu de stationnem­ent du régiment de sécurité présidenti­elle. 13. Palais d’Etat (ex-Palais des congrès) : construit dans les années...
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4. Palais des Patriarche­s (musée), église des Douze-Apôtres. 5. Clocher d’Ivan-le-Grand. 6. Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. 7. Tour de l’Eau...
1. Palais des Armures (musée). 2. Cathédrale de l’Annonciati­on. 3. Cathédrale de la Dormition. 4. Palais des Patriarche­s (musée), église des Douze-Apôtres. 5. Clocher d’Ivan-le-Grand. 6. Cathédrale de l’Archange-Saint-Michel. 7. Tour de l’Eau...
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A ne manquer sous aucun prétexte : la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel et la plus grosse cloche du monde ; la cathédrale de la Dormition ; le Tsar Pouchka, plus gros canon du monde ; le musée des Armures où figure notamment le carrosse d’Elisabeth...
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