LES JEUNES GENS D’AUJOURD’HUI
C’est un petit roman qui se lit vite, découpé en chapitres brefs, incisifs. Il parle d’un couple postmoderne, Soren et Paloma, qui ont deux filles, Agathe et Louise. Le frère de Soren est très malade, son père vit seul et se laisse pousser la barbe, sa mère est morte dans un accident de voiture. Avec ces phrases courtes, on a l’impression de lire un roman des années soixante : un vieux Sagan ou un hommage aux Choses de Perec. Ces livres dont les personnages se débattent dans des appartements meublés, qu’ils quittent pour traverser la France en voiture…
S’il est bizarre de publier en 2018 un roman des années soixante, il faut admettre que c’est une bonne idée, parce que les thèmes de cette époque (l’éclatement de la famille, la solitude qu’engendre l’individualisme, la contradiction entre le couple et la liberté) nous emprisonnent toujours. Pourquoi changer de style alors que nous nous débattons toujours avec les mêmes difficultés qu’en mai 1968 ? Pendant que Soren va rendre visite à son frère, Paloma est partie à Cadaqués chez sa mère boire des spritz. La différence avec les années soixante, c’est que Paloma prend des photos qu’elle poste sur Instagram. Son exhibitionnisme lui donne l’impression d’exister. Chez Sagan, elle aurait passé des coups de téléphone, envoyé des télégrammes ou des cartes postales. Le désespoir est le même, mais les appels au secours prennent des formes nouvelles. Soren est obsédé par la mort. La société de consommation a engendré une génération de trouillards : si l’on n’est ni un migrant, ni un SDF, ni un chômeur de longue durée, force est de reconnaître que le seul véritable emmerdement, c’est d’être mortel. La mort est omniprésente dans ce roman faussement léger : le père a tenté de refaire sa vie mais sa compagne est foudroyée par un cancer, le frère bipolaire se bat contre la sclérose en plaques… Résumé ainsi, La nuit et des poussières vous semblera sinistre. Et pourtant, ce roman frêle raconte une lutte rageuse pour la survie. JeanBaptiste Gendarme porte un nom autoritaire mais dirige une revue très distrayante, Décapage, parfaitement humoristique et passionnée de littérature contemporaine. Son roman ressemble à sa revue : sérieux mais divertissant, ambitieux sans lourdeur. Soren doit trouver de l’argent pour nourrir ses enfants. Il regarde des vidéos X quand sa femme se refuse à lui. Il a peur des attentats, du suicide, des bagarres, mais ce n’est pas un lâche. La nuit et des poussières raconte l’histoire de deux jeunes gens qui apprennent que le bonheur est une guerre contre tout l’univers. Malheureusement, à la fin, ils la perdent.
La nuit et des poussières, de Jean-Baptiste Gendarme, Gallimard, 168 p., 15 €.