Dans la tête de... Thierry Jadot
Ancien patron du groupe Peugeot en Amérique du Sud, ancien dirigeant chez Euro RSCG puis Publicis, ce polyglotte de 54 ans est un expert des médias, du marketing et du monde de l’entreprise. Depuis 2012, Thierry Jadot préside aux destinées de Dentsu Aegis Network France, un des leaders mondiaux de la communication. Derrière cet entrepreneur avisé se cache un photographe hors pair. A la fin des années 1980, jeune coopérant à Guangzhou (Canton), il parcourait une Chine enfiévrée par le vent de la modernité et réalisait des clichés qui sont aujourd’hui un véritable témoignage pour l’histoire. On peut les découvrir à Paris, à La Maison de la Chine, où il nous reçoit entre deux rendez-vous d’affaires.
Comment qualifier cette Chine que vous avez photographiée dans les années 1980, juste avant la tragédie de Tian’anmen ?
Ce qui m’a sauté aux yeux, c’est cette société qui avait soif d’ouverture sur le monde, mais aussi la politique de l’enfant unique, visible dans les campagnes comme dans les villes. Et cette foule partout, à vélo, dans les bus, dans les gares, dans les trains.
Nostalgique de cet empire du Milieu fermé aux Occidentaux ?
Ce pays, juste avant les événements de Tian’anmen, respirait une certaine joie de vivre, alimentée par des étudiants qui rêvaient de démocratie. Ce monde que j’ai photographié n’existe plus.
Pourquoi l’avoir photographié ?
J’ai toujours fait de la photo depuis que je suis tout petit. En Chine, j’avais alors 24 ans, et j’allais de surprise en surprise. La photographie s’est imposée comme le prisme de mon témoignage.
La photographie est toujours une passion ?
C’est mon violon d’Ingres. J’aime la photographie de rue, j’ai toujours un appareil dans mon sac. J’ai besoin d’éclectisme pour être efficace dans mon travail et la photographie me permet d’avoir une vision holistique du monde.
Pourquoi cette première exposition, trente ans plus tard ?
Sans doute une certaine nostalgie du jeune homme que j’étais. En vieillissant, en accédant à la maturité, je ne veux pas perdre la fraîcheur de mon regard. Exhumer ces photos, c’est m’encourager à conserver ma spontanéité.
Les photographes que vous admirez ?
Marc Riboud pour son travail sur la Chine ; Elliott Erwitt, incroyable photographe de rue ; William Klein pour son usage de la couleur et cette recherche de la sophistication. Plutôt patron ou photographe ?
Je suis un dirigeant photographe. Tout patron doit s’ouvrir au monde extérieur, humer l’air du temps, pour rendre son entreprise plus performante.
Quels chefs d’entreprise admirez-vous ?
Ceux qui ont de vraies valeurs, qui considèrent que leur job est au service de la société, qui essayent de rendre notre monde plus beau. Michel-Edouard Leclerc a beau être à la tête d’un groupe d’hypermarchés, il a un vrai souci pour une alimentation de qualité.
Le moteur de votre ambition ?
Affronter l’inconnu qui m’intéresse. Dès que je suis dans le confort, j’ai l’impression de vieillir. Il est alors temps pour moi de changer. La photographie reste cette opportunité de saisir de nouvelles émotions qui nourrissent mon imagination.
Votre plus grande fierté ?
Pouvoir élever deux petites filles de 7 ans.
Votre plus grand regret ?
Ne pas avoir pris conscience suffisamment tôt de tout ce que la photographie pouvait m’apporter. Il faut oser. Avec l’âge, on est moins sensible au regard de l’autre.
Vos clients sont de très grandes entreprises. Quels conseils leur donnez-vous ?
Embauchez des gens curieux et intéressants pour une collaboration innovante. Je crois beaucoup à la diversité des talents qui nous entourent. Ensuite, soyez cohérent et assumez qui vous êtes : le monde est complexe et les marques qui vont rester sont celles qui créent leur mythologie.
Un lieu pour se ressourcer ?
Les grands espaces de la pampa argentine. J’y ai vécu six ans, le ciel y est infini, et j’y ai élevé du bétail pour m’amuser.
Un rêve à réaliser ?
Partir longtemps pour une mission photographique.
Avez-vous la fibre écolo comme votre frère (Yannick Jadot est député européen écologiste et ancien candidat à la présidentielle de 2017) ?
Pas comme lui. Lui est un militant. Mais nous sommes tous les deux des amoureux de la nature. Un héritage de notre enfance en Picardie : mon père plantait des arbres, rêvait de se transformer en chêne, et je peux vous assurer que je connais le nom de toutes les espèces de nos forêts.
Avez-vous envie de quitter la France ?
J’ai fait l’essentiel de ma carrière en me déplaçant. Mais j’aime mon pays, d’autant plus qu’il est en train de se reconstruire et de se réinventer.
PROPOS RECUEILLIS PAR CYRIL DROUHET