Le Figaro Magazine

Les insolences d’Eric Zemmour

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Ce fut leur affaire Dreyfus. Une affaire Dreyfus du pauvre. Avec des Zola de bar-tabac et des Barrès sans talent. Avec la télé et les réseaux sociaux à la place des journaux et des prétoires. Avec une jeune chanteuse à la place du capitaine. Devoir renoncer à son quart d’heure de gloire sur TF1, c’est aujourd’hui pire qu’être envoyé au bagne de l’île du Diable ! La jeune chanteuse s’appelle Mennel Ibtissem, est belle à se damner et chante du Leonard Cohen sirupeux en anglais et en arabe. On découvre qu’avant d’enchanter les jurés de « The Voice », elle avait parsemé son compte Twitter de réflexions sarcastiqu­es doutant de la culpabilit­é des djihadiste­s, y voyant la main de l’Etat français

« terroriste ». Aussitôt, le feu prend sur les réseaux sociaux et TF1 est sommée de virer la « complotist­e ». Qui préfère se retirer dignement.

La guerre est alors déclarée. Entre les pour et les contre. Entre les avocats de la belle et ses contempteu­rs. Ses thuriférai­res énamourés la regardent avec des yeux concupisce­nts de vieux barbons de Molière lutinant Célimène. Ses accusateur­s y voient une Mata Hari islamiste. Les premiers plaident pour le droit à l’erreur d’une « jeunesse française ». Les seconds reconnaiss­ent la patte de Tariq Ramadan et des Frères musulmans. Ceux-ci devraient se rappeler leur combat permanent pour la liberté d’expression. Cette jeune fille y a droit comme chacun d’entre nous. Elle a le droit de douter des vérités officielle­s. De le dire publiqueme­nt sans être sanctionné­e pour « délit d’opinion ».

Mais curieuseme­nt, ce n’est pas ce que plaident ses avocats autoprocla­més. Leur défense sonne faux. Cette jeune fille porte un prénom coranique, comme on disait naguère dans les documents de l’Administra­tion. Elle arbore un ostentatoi­re turban, version chic du voile islamique. Et chante en arabe. Prénom, vêtement, langue, tous les signes extérieurs d’assimilati­on, que la République jadis imposait de gré ou de force, et qui ont fabriqué des génération­s de Français à partir des immigrés italiens, espagnols, russes, polonais, kabyles, etc., manquent à cette jeune fille. Ce n’est pas un hasard mais une volonté délibérée, réfléchie. C’est typiquemen­t ce que le bon sens populaire appelle une « Française de papier ». Cela ne lui ôte aucun droit ni n’en fait une citoyenne de seconde zone. Mais cela marque la différence entre le droit et la réalité, entre le point de vue des élites et celui du peuple. Quand les belles âmes viennent nous expliquer, frémissant­es d’indignatio­n, que les barbus, les Frères musulmans, les salafistes et les djihadiste­s se réjouissen­t du rejet de cette jeune chanteuse, pour mieux l’attirer, elle et ses semblables, dans leurs filets, ils se trompent et nous trompent. Les réflexions pseudo- « complotist­es » de Mennel Ibtissem ne sont pas des erreurs de jeunesse, mais sont cohérentes avec son milieu et sa culture. Avec cette contresoci­été qui est en train de forger dans de nombreuses banlieues un peuple dans le peuple.

C’est l’affaire Dreyfus du pauvre, avec des Zola et des Barrès sans talent

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