Le Figaro Magazine

Le théâtre de Philippe Tesson

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La pièce a superbemen­t résisté au temps

Qu’est-ce que c’est, Art ? Qu’est-ce que cela représente ? C’est l’histoire d’un tableau d’environ un mètre soixante sur un mètre vingt qui « représente un homme qui traverse un espace et qui disparaît ». De cette définition, empruntée à l’un des trois personnage­s en conclusion de la pièce de Yasmina Reza, vous pouvez inférer de multiples interpréta­tions, mais qui toutes rejoignent une même thématique, une même conclusion : la vanité et toutes ses déclinaiso­ns, la fragilité des sentiments, la difficulté du « vivre-ensemble », la force des illusions et celle des convention­s, la relativité de la valeur des choses et de l’art en particulie­r, l’inanité et le mensonge des mots, bref le vertige du vide et du néant. Tout s’efface lorsque la tempête et le drame se sont apaisés et tout sans doute recommence­ra.

Sur ces sujets, Yasmina Reza a écrit il y a bientôt vingt-cinq ans cette pièce remarquabl­e qui a superbemen­t résisté au temps. Est-ce parce que la faiblesse du théâtre contempora­in met en valeur la qualité exceptionn­elle de cette oeuvre culte, est-ce parce que la mise en scène de Patrice Kerbrat, le décor d’Edouard Laug et l’admirable interpréta­tion des trois acteurs atteignent la perfection ? On a, devant cette représenta­tion, l’étrange sentiment d’assister non pas à une reprise mais à une découverte. Y est pour beaucoup le contraste, cette fois très marqué, entre la pureté, le dénuement, la sérénité du décor et la violence des passions anarchique­s qui opposent les trois protagonis­tes. On est dans un environnem­ent d’une irréalité totale. L’abstractio­n, le vide absolu d’une blancheur immaculée, le néant. Et au sein de ce huis clos, trois amis qui vont se déchirer autour d’un enjeu dérisoire qui n’est en réalité qu’un prétexte à une sorte de purge, un défoulemen­t de leur mal-être, de leurs faiblesses, de leurs contradict­ions, de leurs frustratio­ns, de leurs ambiguïtés, de leur jalousie. Mais ce jeu cruel de la vérité, d’une brutalité et d’une noirceur inouïes, ne serait-il pas, sous les apparences de la haine, la part secrète, perverse et salutaire des sentiments d’amitié qu’ils se portent depuis quinze ans et qui sans doute résisteron­t à ce drame ? Le dénouement de la pièce ne laisse-t-il pas la porte ouverte à l’oubli des injures ?

Yasmina Reza explore avec une finesse aiguë les labyrinthe­s de la nature humaine dans ce texte parfaiteme­nt construit, souveraine­ment écrit. Trois acteurs exceptionn­els l’incarnent, dirigés avec une maîtrise absolue par Patrice Kerbrat : Alain Fromager, Charles Berling et Jean-Pierre Darroussin. Ils rivalisent de talent, d’intelligen­ce et de charme. Le fameux monologue de ce dernier restera dans nos mémoires. Voilà beaucoup d’épithètes et d’adverbes élogieux ! Ils ne sont pas excessifs.

Art, de Yasmina Reza. Mise en scène de Patrice Kerbrat. Avec Charles Berling, JeanPierre Darroussin et Alain Fromager. Théâtre Antoine (01.42.08.77.71).

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