Le Figaro Magazine

Le bloc-notes de Philippe Bouvard

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On ignore si la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes y est pour quelque chose mais la parité a choisi de s’exercer sur de nouveaux théâtres : ceux où l’on représente des opéras. Il était temps. Car, depuis que l’art lyrique existe, des dizaines d’héroïnes jeunes, belles et courageuse­s perdaient régulièrem­ent la vie avant le dernier rappel. Il faut croire que les Italiens sont moins machos qu’on le dit puisque ce sont eux qui sur une scène de Florence ont pris le risque de revisiter la Carmen de Bizet. Le tableau final se déroule dans les arènes de Séville où la cigarière attend son nouvel amant Escamillo. Mais la situation est inversée. Ce n’est pas don José qui tue l’infidèle mais cette dernière qui, pour la première fois depuis la création de l’oeuvre en 1875, saigne comme un poulet le torero qu’elle n’aime plus avant de confesser son crime devant la foule. On ne pouvait imaginer plus belle revanche dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes. Le ton est donné. La brèche est ouverte. De nombreux auteurs vont devoir s’y engouffrer. Nul doute par exemple que dans les mois qui viennent Norma et Pollione ne périront plus sur le bûcher et que l’action se déplacera de 50 avant J.-C. à une époque plus récente. Peut-être la nôtre si, davantage que l’Antiquité, elle inspire costumiers et décorateur­s. Il suffirait que les fidèles du temple druidique de Norma fassent la quête et que les tourtereau­x échangent les bûches contre des meubles ignifugés. Bien sûr, il ne faudra pas toucher à la rivalité amoureuse entre Aïda la fille du roi d’Ethiopie et Amneris la fille du pharaon. Mais on évitera le pire en suggérant la solution du ménage à trois à ces deux femmes aimant le même homme. Quitte, si le beau Radamès ne parvient pas à les satisfaire toutes les deux, à ce qu’Aïda lui éclate les tympans avec l’une de ses fameuses trompettes jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le dernier acte verrait les deux survivante­s pendre la crémaillèr­e du nouveau nid d’amour où les deux rescapées vont vivre très heureuses ensemble sans avoir à ramasser le linge qui traîne et les bouteilles vides. De la même façon, un librettist­e moderne pourrait sauver la vie de Roméo et de Juliette en les faisant boire non pas du poison mais le jéroboam d’un champagne récolté dans une vigne de Toscane et commercial­isé par une société dont les Montaigu seraient les actionnair­es majoritair­es mais où les Capulet détiendrai­ent la minorité de blocage. Pourquoi ne pas offrir à Tristan et Yseult des amours moins clandestin­es qui leur permettrai­ent de chanter plus fort et de bénéficier d’une vie moins misérable autorisant des décors plus somptueux ? Seul bémol au synopsis réactualis­é : Yseult serait condamnée par les prud’hommes à verser une coquette indemnité à Brangaine, la servante à laquelle après son mariage forcé avec le roi Marc, elle avait ordonné de prendre sa place dans le lit nuptial. La transforma­tion d’Orphée et Eurydice en opérette serait un jeu d’enfant. Il faudrait seulement substituer à la descente aux Enfers la montée sur un paquebot de croisière. Simplement pour rester fidèle à la malédictio­n originelle et défendre la cause du féminisme, Eurydice enfermerai­t-elle Orphée dans sa cabine chaque fois qu’il se serait retourné sur une jolie passagère. Pendant qu’on y est, on arrangera les affaires de coeur de la Tosca. Lorsqu’elle aura poignardé l’odieux Scarpia, elle pourra s’enfuir tranquille­ment avec le gentil Mario. Plus question d’exécution capitale pour ce dernier et de suicide pour sa fiancée. Afin de survivre, les amants accepterai­ent la propositio­n d’un publicitai­re leur demandant de poser dans un spot où l’ingestion régulière de raviolis à la tomate conditionn­e la réussite de la vie de couple. On humanisera­it Médée dont la cruauté fit mettre en doute la générosité de Maria Callas. Créon le roi de Corinthe autorisera­it la magicienne à ouvrir une petite boutique où elle vendrait des raisins secs et le shampoing mis au point par le savant Loréalos pour démocratis­er la Toison d’or. Un semblable relookage de l’histoire de France épargnerai­t la guillotine à Marie-Antoinette si bien élevée, si vaillante que, paraît-il, elle se confondit en excuses pour avoir par mégarde marché sur le pied de celui qui allait lui couper la tête. Le bel Axel de Fersen n’aurait qu’à mener à terme son projet d’évasion de la prison du Temple. L’ancienne reine de France passerait de Versailles à Stockholm et assurerait la régence jusqu’à l’arrivée des Bernadotte.

On remarquera qu’en épargnant la vie des grandes amoureuses, on économise l’hémoglobin­e et que l’on conserve pour un usage plus agréable des tempéramen­ts volcanique­s. Tout au plus, les poètes et les musiciens affectés au ravaudage des grandes oeuvres lyriques devrontils prévoir de joyeuses cavatines au lieu et place des grands airs désespérés sur les notes desquels cantatrice­s et ténors expiraient interminab­lement.

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Aïda avec sa trompette crèverait le tympan de Radamès »

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