Le Figaro Magazine

NATIONALE 7, LA ROUTE DES VACANCES

L’été dernier, deux de nos reporters ont parcouru, à bord d’une DS cabriolet, la dernière portion de la mythique nationale 7, ancienne route du soleil. Voici, pour sortir enfin de cet hiver qui n’en finit pas, leur reportage, plein de lumière, de couleurs

- PAR ADRIEN GOMBEAUD (TEXTE) ET DAVID LEFRANC POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)

De la Porte d’Italie à l’Italie, du gris de Paris au soleil du Midi, la nationale 7 était une épopée. Déclassée en départemen­tale au cours des années 2000, la « route des vacances » a laissé dans son sillage des souvenirs de Gauloises au kilomètre, de sandwichs aux rillettes, de nuées de moustiques et de clichés émerveillé­s lorsque la mer jaillissai­t à l’orée du pare-brise. Refaire en partie ce chemin dans une voiture d’époque revient à remonter le temps. A plonger en DS 21 dans une mémoire française.

Passé Montélimar, on sentait monter le mistral. Déposés sur le siège arrière en pleine nuit, les gamins s’étaient éveillés au Plessis-Chenet, au milieu des champs. Déjà la campagne ! On avait esquivé le détour chez une tante de l’Yonne puis survécu à la traversée de Lyon. Soudain, avant l’arc de triomphe d’Orange, surgissait le redouté bouchon de Piolenc ! Dans un hangar en bord de route, le village a rassemblé des vestiges de la nationale : une 204 Peugeot et son paquet de Gitanes sur le tableau de bord, un Thermos, un transistor, une caravane Escargot de 1952, un jeu de Mille Bornes, des chaises longues… Le bric-à-brac du vacancier des Trente Glorieuses. « C’était toute une organisati­on, se souvient Christian Braud, l’un des membres de l’associatio­n qui gère le musée Mémoire de la nationale 7. Avant le départ, il fallait faire réviser la voiture et penser aux bagages. Certains avaient établi des escales familières : le routier du déjeuner, les stations pour le “plein”… A Montélimar, on achèterait du nougat, des balais à Lapalud ou des paniers à Piolenc. L’autoroute a sacrifié le petit commerce d’étape. Aujourd’hui, on connaît son temps de trajet. Les vacances ne commencent plus au départ mais à l’arrivée. » Snobés par les automobili­stes, des pans entiers de nationale 7 restent figés dans l’âge d’or des congés payés. Le voyage déroule ainsi une part négligée du patrimoine : Mallemort a son Relais de Douneau, savoureuse station-service décatie entre Avignon et Aix. Brignoles abrite un mur élimé orné d’une pub pour le vermouth Noilly Prat. Partout, la RN7 égrène des garages décrépis qui fleurent l’huile de vidange. Discrèteme­nt, elle écrit aussi un paragraphe de l’histoire vinicole. A Bédarrides, elle longe la frontière qui sépare côtes-du-rhône et châteauneu­f-du-pape. Daniel Stehelin cultive sa vigne dans la propriété de Mont-Thabor, ex-repaire d’alchimiste­s et relais de diligence. Le regard est malicieux, la moustache généreuse et le vin tout autant. « Nous sommes la quatrième génération. Mon père travaillai­t encore à cheval, mais j’ai des souvenirs de voitures ! Il conduisait une 2 CV. Quand il partait vendre ses fruits au marché, il retirait les sièges pour s’asseoir sur des cagettes ! » Bien qu’elles n’aient en commun que leurs bobines d’allumage, la 2 CV et la DS auront vécu des destins parallèles. D’un côté, la « Deudeuche » insouciant­e du peuple et de la jeunesse. De l’autre, la berline des hommes d’affaires et ingénieurs français. Une voiture héroïque dont la tenue de route sauva le général de Gaulle au Petit-Clamart en 1962 et dont le nom lui-même côtoyait les divinités. Et quand Notre-Dame des Doms flamboie sur le palais des Papes, l’orgue des quatre cylindres souffle les mots que Barthes offrit à la « Déesse » dans ses Mythologie­s : « Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrale­s gothiques. »

Elle revient d’un temps où le conducteur signalait à la cantonade qu’il était

« en rodage », dans cette période de séduction entre le pilote et l’engin. Une telle voiture s’apprivoise. Il faut quelques kilomètres pour retisser le contact presque charnel de la main au moteur, évaporé avec l’électroniq­ue. Ne pas brusquer le frein, ce drôle de champignon posé à même le plancher. Passer les vitesses, du bout des doigts, sur le fin levier dressé derrière le volant. Au démarrage, lui laisser le temps de monter sur les stilettos de son système hydrauliqu­e. La DS vit la nationale plus qu’elle ne la parcourt. Elle survole les ralentisse­urs, valse avec les ronds-points. Aux carrefours, les automobili­stes se montrent prévenants. →

PASSENT LES PLATANES DE PLAN-D’ORGON, FILENT LES VILLAGES...

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Les célèbres bornes sont aujourd’hui des objets de collection.

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