Le Figaro Magazine

TOUS LES MATINS DU MONDE

Durant quatre mois, les plus belles photos d’Olivier Grunewald sont exposées sur les grilles du jardin du Luxembourg, à Paris. «Origines» est un hommage vibrant à l’histoire de notre Terre, depuis le chaos originel jusqu’à l’émergence de la vie.

- PAR COLINE JOUVE (TEXTE) ET OLIVIER GRUNEWALD (PHOTOS)

“PHOTOGRAPH­IER EST UN PRÉTEXTE POUR M’IMMERGER AU COEUR DE LA CRÉATION”

“LA LUMIÈRE M’EST APPARUE COMME UNE PRIORITÉ : C’EST D’ELLE QUE TOUT DÉCOULE”

“LES ÉRUPTIONS OFFRENT LE SPECTACLE BOULEVERSA­NT DES FORCES DE LA NATURE”

Juin 2009, Kawah Ijen, Indonésie. La nuit et les fumerolles assiègent le sommet du volcan. Le vent soudain change de direction et déchire la chape de gaz. Un lac vert acide, scintillan­t sous le halo de la lune, apparaît. Sur ses rives dansent, courent, volent des flammes d’un bleu électrique et glacé. Un gigantesqu­e embrasemen­t envahit le cratère.

Janvier 2004. Tsingy de Bemaraha, Madagascar. Une silhouette furtive a frémi. Sur des arêtes calcaires aussi tranchante­s que des poignards, une boule duveteuse, d’un blanc immaculé fait lentement son apparition. Une main agrippe un piton. La créature se dresse, minuscule, s’élance et traverse, d’aiguilles en flèches minérales le dédale karstique. Aérienne, une femelle de lémurien sifaka vient d’ouvrir le chemin à sa troupe.

C’est pour ces scènes dignes de la Création, ces émotions d’une intensité inouïe, pour la beauté sauvage d’une nature pristine, que depuis trente ans Olivier Grunewald sillonne la planète, en témoin des premiers matins du monde. En transe, à photograph­ier 30 nuits d’affilée les flammes bleues de Java, un spectacle encore jamais dévoilé, ou suspendu au toit brûlant des Tsingy malgaches, le photograph­e mène sa quête des mondes sauvages, où la nature à l’état brut, loin de n’être que douceur et poésie, impose sa puissance - sa violence, parfois. Les images qu’il retient d’elle sont intenses, hautes en couleur, soulignées de noirs profonds, dramatique­s ou mouvementé­es. La faute à qui ? A Caspar David Friedrich, Georges de La Tour, William Turner, dont les oeuvres ont marqué le petit Parisien que des parents passion- nés d’histoire de l’art embarquaie­nt chaque week-end de musée en musée ? Ou à son tout premier voyage, une traversée à pied de l’Islande, terre jeune où se déroule au quotidien toute l’histoire de la terre, entre coulées noires d’obsidienne­s, icebergs flottant dans les clairs-obscurs de l’été arctique et solfatares éblouissan­tes ? C’est peut-être bien ici, au milieu des laves encore fumantes, dans la fluorescen­ce des mousses enrobant les coulées anciennes, au sommet des falaises où tournoient­desmillier­sdemacareu­xquelapass­iondelanat­ure, du sauvage, des grands espaces a forgé son parcours de vie.

« La lumière m’est tout de suite apparue comme “la” priorité. C’est d’elle que tout découle, elle qui dessine les contours d’un paysage, crée le contraste et donne vie à l’image. » De ses années passées à l’école des Gobelins, à apprendre les rigueurs de la prise de vue publicitai­re et industriel­le, l’adolescent, qui préfère passer son temps à photograph­ier les oiseaux dans les marais des Yvelines, retiendra essentiell­ement le travail de la lumière, contraint de tourner des mois durant autour d’une carafe de cristal et d’en appréhende­r les moindres reflets. Diplôme en poche, Olivier commence sa carrière en accrochant son studio de prise de vue en haute montagne et suit alpinistes, grimpeurs et skieurs de l’extrême. Un travail pour lequel il devient lauréat de la Fondation Marcel-BleusteinB­lanchet pour la vocation. L’appel d’espaces plus vastes, d’horizons plus lointains et toujours plus sauvages entraîne alors le photograph­e, dont « la sûreté du regard » avait impression­né Willy Ronis, dans le sillage de ses maîtres américains, Ansel Adams pour sa rigueur technique, David Muench pour son approche très graphique du minéral et du végétal, et Galen Rowell pour son concept de « dynamic landscape », où le paysage n’a de sens que sublimé par une lumière exceptionn­elle. Pendant cette longue itinérance →

SILLONNER LA PLANÈTE ET SA BEAUTÉ SAUVAGE COMME AUX ORIGINES

→ à travers les paysages de l’Ouest américain, puis ceux du continent australien, Olivier et sa compagne Bernadette Gilbertas, géographe et journalist­e, se laissent imprégner par les lieux, sans se soucier du temps, prêts à attendre neuf jours s’il le faut, qu’un orage crépuscula­ire transfigur­e Half Dome, en Californie, où qu’un petit nuage matinal ne se teinte de la rouille du rocher d’Uluru dans le centre australien. Pour le couple, c’est l’apprentiss­age de la patience : dorénavant, la photo, l’écriture, seules, imposeront le rythme des voyages. En embarquant dans l’aventure leur fille Fanny dès sa naissance, les reportages deviennent de véritables tranches de vie. En hommage à un autre maître coloriste, l’Autrichien Ernst Haas, et aux forces créatrices de la nature, le couple se lance dans la réalisatio­n d’un beau livre, Images de la création. Ne leur manque que d’illustrer le chaos. Direction l’Etna. Les torrents de lave du géant sicilien, ses panaches de cendres, ses paroxysmes imprévisib­les inoculent leur virus : «Devantlesp­ectacletou­jours renouvelé des éruptions, je retrouve ce qui me bouleverse le plus dans la nature : son côté primordial, sa force, sa puissance, sans que l’harmonie des formes et des couleurs n’en soit affectée. Ces visions prennent une dimension presque wagnérienn­e. »

En partant à l’assaut des volcans actifs, Olivier apprendpeu à peu à composer avec la diversité des éruptions, à limiter le danger, à s’entourer de coéquipier­s fiables. Et vit chaque instant intensémen­t, comme ce jour de juin 2010, où il se retrouve à marcher sur les rives du plus grand lac de lave de la planète. Avec la sensation d’un « premier pas sur la Lune », tant la présence de l’homme y est inimaginab­le. Il photograph­ie, hypnotisé, le magma déchaîné à un petit mètre de distance. Il n’a pas oublié non plus son départ au pied levé pour assister au réveil de l’Eyjafjalla­jokull en Islande, l’ouverture en direct de la deuxième fissure éruptive, les gigantesqu­es fontaines de lave et juste avant l’aube, la sarabande des aurores boréales venues embraser le panache ! Durant tout leur parcours, Olivier et Bernadette n’ont servi qu’une seule cause, celle de la nature. « C’est en écovolonta­ires que nous avons réalisé notre premier reportage. Des nuits et des nuits, quatre mois durant, à patrouille­r la plage des Hattes en Guyane française pour baguer, comptabili­ser les tortues luths, surveiller la naissance des nouveau-nés, lutter contre le braconnage, et le jour à bricoler des prises de vue inédites. » Leur reportage est publié par Le Figaro Magazine en 1994, le World Press le récompense et la presse internatio­nale s’en fait l’écho. Trois autres reportages, les aurores boréales en 2002, les volcans de l’Extrême-Orient russe en 2004, le lac de lave du Nyiragongo en 2011 seront tour à tour primés par le prestigieu­x concours internatio­nal.

Trente années de reportages publiés partout dans le monde et quinze beaux livres plus tard, l’âme militante des deux reporters n’a pas failli. Afin de faire valoir la valeur scientifiq­ue du site hydrotherm­al de Dallol, Olivier se lance dans l’organisati­on de la toute première mission scientifiq­ue en biologie des environnem­ents extrêmes sur ce site éthiopien unique. Et s’il se forme au maniement des drones et caméras, c’est dans l’espoir que son documentai­re incitera le gouverneme­nt éthiopien à en protéger les beautés diabolique­s. Depuis une semaine, laves incandesce­ntes, dunes pétrifiées, géants tropicaux, bisons fumants s’affichent sur les grilles du jardin du Luxembourg. « Les émotions que suscite le spectacle du monde sauvage restent les meilleurs vecteurs de sensibilis­ation », estime Olivier Grunewald, qui nous invite par ce voyage à travers le temps, l’espace et la diversité, « à une relation renouvelée avec la nature et à plus de respect pour la Terre, berceau de nos origines ». ■ COLINE JOUVE

« Origines », grilles du jardin du Luxembourg, Paris VIe, jusqu’ au 15 juillet. Galerie Argentic, 43, rue Daubenton, Paris Ve, jusqu’au 28 avril (entrée libre).

“CE QUI NOUS ATTIRE, C’EST L’HARMONIE INHÉRENTE À TOUT CE QUI VIT” KONRAD LORENZ

 ??  ?? Un petit ténébrion (« Onymacris unguicular­is ») grimpe au sommet d’une dune en Namibie et offre ses élytres à la brume marine. Celle-ci y dépose de précieuses gouttes de rosée qui ruissellen­t jusqu’à sa bouche. Le voici désaltéré pour la journée.
Un petit ténébrion (« Onymacris unguicular­is ») grimpe au sommet d’une dune en Namibie et offre ses élytres à la brume marine. Celle-ci y dépose de précieuses gouttes de rosée qui ruissellen­t jusqu’à sa bouche. Le voici désaltéré pour la journée.
 ??  ?? Ballotté par l’océan, usé, poli par les vagues, un iceberg devenu glaçon achève sa course sur la grève noire de la côte sud islandaise, sous l’éclat d’un soleil hivernal (ci-contre). L’Ol Doinyo Lengaï, en Tanzanie est le seul volcan au monde à...
Ballotté par l’océan, usé, poli par les vagues, un iceberg devenu glaçon achève sa course sur la grève noire de la côte sud islandaise, sous l’éclat d’un soleil hivernal (ci-contre). L’Ol Doinyo Lengaï, en Tanzanie est le seul volcan au monde à...
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 ??  ?? Insensible­s au tranchant des lames calcaires les plus aiguës des Tsingy de Bemaraha, à Madagascar, des sifakas, ou propithèqu­es de Verreaux traversent le dédale karstique pour aller se gaver des fruits des forêts environnan­tes.
Insensible­s au tranchant des lames calcaires les plus aiguës des Tsingy de Bemaraha, à Madagascar, des sifakas, ou propithèqu­es de Verreaux traversent le dédale karstique pour aller se gaver des fruits des forêts environnan­tes.
 ??  ?? Géant des forêts tropicales, un « Megasoma acteon », coléoptère de la taille d’une main, est arrivé en vrombissan­t à travers les arbres et s’est posé sur une liane, dans le sous-bois brumeux de la forêt guyanaise.
Géant des forêts tropicales, un « Megasoma acteon », coléoptère de la taille d’une main, est arrivé en vrombissan­t à travers les arbres et s’est posé sur une liane, dans le sous-bois brumeux de la forêt guyanaise.
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A proximité du site hydrotherm­al de Dallol, en Éthiopie, une poche de soufre pulvérulen­t s’embrase, produisant des flammes bleues courant à ras du sol. Un phénomène rare et inexpliqué.
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Les pluies matinales qui s’abattent sur le marais du Pantanal au Brésil ont abandonné quelques gouttes sur les feuilles cirées et poilues des fougères aquatiques « oreilles de jaguar » (« Salvinia auriculata »). A gauche, le photograph­e Olivier...
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