QUAND LES MEUBLES JOUENT LES TRANSFORMISTES
Ne pas se fier aux apparences. Réinterprétations, trompe-l’oeil ou double fonction… Les designerssont les premiers à défier les codes et à bousculer les évidences. Le petit twist qui fait la différence.
Le mobilier minimaliste que présente Edmond Wong, jeune designer d’origine chinoise qui travaille à Tokyo, pourrait se glisser dans n’importe quel intérieur ou bureau comme une évidence. Mais il suffit de regarder d’un autre oeil ses meubles d’un usage a priori classique pour y voir, ici un banc pour faire des abdos, là une table de massage ou encore une chaise qui permet de s’adonner aux torsions et autres étirements. Ce double jeu n’est pas pour déplaire au designer et architecte d’intérieur Elliott Barnes, qui traite lui aussi la transformation en pensant double fonction : « Je cherche toujours à améliorer la fonction principale, ce qui me donne souvent d’autres idées. Flip Flop, table basse en chêne conçue pour Ecart Paris, dissimule un réceptacle à secret. » Son paravent Onde en cuir finition Berluti, évolution du paravent boulier conçu à l’époque comme un écran, à la dimension architecturale, se transforme, dix ans plus tard, quasiment en meuble. Tout comme le paravent miroir, un triptyque qui s’affiche panneaux repliés pour le dernier coup de peigne avant de sortir et déploie ses ailes pour séparer les espaces. « Je recherche cette double lecture de l’objet que chacun interprète chez soi comme il veut. C’est peut-être lié à mon caractère et à ma double nationalité, s’amuse le designer franco-américain qui a un pied sur chaque continent. Je suis sur différents terrains en même temps et mes objets aussi. » Dans un autre style mais avec la même recherche, Marion Mailaender, qui n’est pas née par hasard dans la Cité radieuse, manie l’audace et l’humour pour mélanger les genres et les époques. Ainsi, ses miroirs K2000, clin d’oeil à la série télévisée des années 1980, sont d’anciens pare-brise qu’elle réinterprète en miroirs sculpturaux. La jeune créatrice marseillaise formée à l’école Boulle, qui a monté son agence d’architecture intérieure et de design, Design & Fils, dans la capitale, avoue fonctionner à l’instinct. Elle utilise, explique-t-elle, de « l’argenture, qui provoque la surprise car elle ne se maîtrise pas nécessairement et j’aime perdre le contrôle ». Ses miroirs ont été sélectionnés pour la toute nouvelle boutique à Rebours de Lafayette Anticipations. Pour autres preuves, ses vases en échantillons de marbre et
terrazzo : « Des échantillons techniques que j’ai trouvés dans ma matériauthèque d’architecte remplie de belles choses mais que je voulais vider. » Pas si facile de se séparer de ces trésors, elle les a donc transformés. « J’aime utiliser des matériaux pour d’autres usages que ce pourquoi ils sont faits. Au lieu de dessiner ou redessiner des choses qui existent déjà, ils me permettent de raconter des histoires. »
Le designer belge Bram Vanderbeke, que l’on a pu découvrir à la ToolsGalerie, à Paris, fabrique des tabourets empilables, en MDF, polis et poncés qu’il conçoit comme des « éléments de construction » pouvant constituer des colonnes, tables, assises ou installations. Le traitement de surface qu’il réalise modifie notre perception. Gianfranco Frattini a imaginé pour Cassina quatre tables gigognes en hêtre teinté noir ou blanc qui cachent bien leur jeu. Slide chez LightOnline parie sur l’effet puzzle avec la lampe P.O.P, en blanc ou couleur. Chez Mogg, la table Bugie d’Annebet Philips se redessine à volonté avec des bougeoirs nomades. Non moins poétiques, on trouve chez Leclaireur une série de tables basses dessinées par Tokujin Yoshioka, aux accents de cascade d’eau glacée, figées dans un cristal de Murano modelé à la main. Si l’on retire le couvercle de ces Fountain, elles se transforment en vases. Quant à la table InVein de Ben Storms, elle devient miroir si on l’adosse à un mur. Et l’on n’oubliera pas, chez Leclaireur, les intemporelles assiettes Fornasetti dans lesquelles on déjeune mais que l’on peut aussi accrocher au mur comme des tableaux. La touche artistique n’est jamais très loin.
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Je suis sur différents terrains en même temps et mes objets aussi