LA BOUCHE PLEINE
Nous sommes des estomacs sur pattes. Dimanches compris. Un salarié s’est fait taper sur les doigts pour avoir utilisé ses Tickets-Restaurant le week-end. Il aurait surtout dû être puni pour les avoir dépensés dans un fast-food. A la télévision, il n’y a plus que des émissions sur la nourriture. La vie moderne se déroule la bouche pleine. Sur l’écran, des cuisiniers amateurs déploient des trésors d’ingéniosité. Un chef au crâne rasé humilie gentiment des propriétaires d’établissements au bord de la faillite. Sur une autre chaîne, un étoilé anglais prend moins de gants : il leur hurle dessus avec son accent cockney. Les larmes sont souvent de la partie. A la fin, tout le monde sourit. Avec tous ces programmes, comment trouver encore le temps de se mettre aux fourneaux ? La radio n’est pas en reste. On tourne le bouton : c’est pour entendre le grésillement du beurre dans la poêle, les cris des maraîchers au petit matin. Sur France Culture, Alain Kruger passe ses invités à la casserole. Sur Inter, François-Régis Gaudry se tape sur l’estomac avec une bonhomie communicative. Les librairies regorgent d’ouvrages sur le sujet. Ce sont des best-sellers. A côté, les scores du Goncourt sont ridicules. On en regrette presque le temps où les gens pouvaient à peine citer les noms de Bocuse ou de Raymond Oliver. Ils ne jurent que par Lignac, Etchebest, Camdeborde. La France rêve d’avoir les pieds sous la table vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais France 5 vient de virer Jean-Luc Petitrenaud. Snif.
Pour les bourdes, le service public ne craint personne.
La vie moderne se déroule la bouche pleine