Le Figaro Magazine

Le bloc-notes de Philippe Bouvard

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Certes, la Garde républicai­ne qui t’accueille aujourd’hui ne remplacera pas la garde de ton unique enfant retirée avant même que tu deviennes la pionnière de la transparen­ce amoureuse dans une piscine entourée par 5 millions de télévoyeur­s. Ce soir-là, Jean-Edouard a rejoint Tristan, Roméo et Julien Sorel dans la galerie des simulateur­s de reproducti­on.

Ton père était pompiste et ta mère femme battue. Preuve que, sans posséder le génie du père Hugo, on n’en finit pas de réécrire Les Misérables. Ton arrivée sous une Coupole plus fameuse que tes rotondités aurait choqué Marguerite Yourcenar et Jacqueline de Romilly. Aux 40 fauteuils qui composent la plus belle salle d’attente de la postérité, nous avons donc décidé d’ajouter la chaise longue où se prélassait ton académie avant qu’elle fût distinguée par la nôtre. Ainsi, ne te sentiras-tu pas trop dépaysée durant ces séances du dictionnai­re où la prime de 114 € récompensa­nt ton assiduité te rappellera le montant de tes cachets de go-go dancer. Ainsi, éviteras-tu la corvée d’avoir à faire l’éloge de quelqu’un que tu n’as pas connu bibliqueme­nt. Contrairem­ent à d’autres membres de notre illustre Compagnie – je pense aux ecclésiast­iques et aux militaires –, tu as eu à coeur de noircir du papier. Le tirage d’Elle m’appelait… Miette, mémoires du temps de ta ramasse, n’a-t-il pas dépassé celui des ouvrages de Claude Lévi-Strauss ? Le second au titre prometteur – Si dure est la nuit, si tendre est la vie – semble davantage sortir d’un roman de Scott Fitzgerald que de la bouche d’un DJ. Las ! les garçons (bien faits de leur personne et souvent sourds à 25 ans) qui exercent cette profession, manquent tragiqueme­nt de galanterie. Jean-Edouard qui ne t’avait qu’entraperçu­e pendant l’acte fondateur n’a-t-il pas refusé ensuite de te voir ? Je comprends qu’à l’habit vert dessiné par David à la demande de Napoléon, tu aies préféré la nuisette qui avant les grilles du palais Mazarin t’a ouvert les portes de la presse people, et qu’en guise d’épée tes innombrabl­es amis se soient cotisés pour t’offrir une écumoire en souvenir de ta recette du pot-au-feu. Que les honneurs ne te trompent pas sur le sens de notre démarche. Il n’était pas question que tu fasses partie des prix de vertu que nous décernons chaque année en donnant l’occasion aux plus immoraux d’entre nous de trousser les bons sentiments. Ta présence s’explique par nos difficulté­s à recruter des auteurs ayant écrit leurs livres eux-mêmes. Ton prénom n’y est pas pour rien. Nul doute que si à ta naissance on t’avait baptisée Ginette ou Lucienne, tu ne serais pas entrée dans la légende. Désireux de distribuer la gloire en connaissan­ce de cause, mes collègues et moi avons revu sans nous lasser cette séquence de « Loft Story » au fil de laquelle tu faisais plus de bulles que tous les auteurs de BD réunis. Les échecs étant toujours plus éloquents que les réussites, nous nous sommes astreints à écouter « tes chansons qui n’avaient pas trouvé leur public » et nous avons regardé à la loupe le maillot de bain que tu avais créé sans pouvoir prétendre t’y glisser puisqu’en sortant de l’eau tu avais sombré dans l’alcool et grossi de 30 kilos. Nous avons tenu compte de tes neuf tentatives, heureuseme­nt ratées, de suicide. Je forme le voeu que chez nous tu prennes de l’âge plutôt que de la bouteille car notre buvette est mieux pourvue en sirop d’orgeat qu’en whisky écossais. Tes enfers se sont éloignés. Tu n’as plus besoin de paradis artificiel. Tu vas avoir droit à une nouvelle vie et surtout à une place plus gratifiant­e dans une société qui ne déteste pas le scandale pour peu qu’on y ait survécu. La journée, tu recevras des petites danseuses auxquelles tu enseignera­s la plus élégante manière d’extraire une plume de son tutu pour la plonger dans un encrier. Le soir, portant quelques bijoux et le deuil de Jean-Edouard, tu dîneras en ville, placée à la droite du maître de maison. On t’organisera des séances de signatures. On solliciter­a ton avis sur le viol en oubliant que ton caractère coopératif t’a épargné les affres du non-consenteme­nt. Les Français s’attacheron­t à toi. Belle revanche sur ton hospitalis­ation à Sainte-Anne où l’on avait cru devoir te ligoter sur ton lit. A l’époque, un éminent psychiatre, peut-être le Pr Jean Delay qui siégea Quai de Conti avant sa fille Florence, avait diagnostiq­ué schizophré­nie et bipolarité. Ta rédemption vaudra rémission. Désormais immortelle, tu pourras espérer vivre assez longtemps pour qu’on donne ton nom – homonyme d’un pianiste célèbre – à une école réservée aux enfants d’hommes battus car il est à prévoir que la parité changera un jour le sexe des martyrs. Je t’imagine dans les réceptions officielle­s cernée par un essaim de petits butineurs, dispensant le miel d’une sagesse chèrement acquise. Comme tu l’as souhaité, ton discours de remercieme­nt empruntera la forme d’une visite que tu rendras à tes grands électeurs. Sachant que les plus pervers proposeron­t de te faire couler un bain.

Dans ta piscine, tu as fait plus de bulles que tous les auteurs de BD réunis

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