Le Figaro Magazine

Le théâtre de Philippe Tesson

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Un mois à la campagne, de Tourguenie­v est l’une de ces pièces qui exercent sur nous un charme très particulie­r. Il ne s’y passe pas grand-chose. Pas d’action forte, juste un dénouement étrange au terme d ’ u ne randonnée paisible à travers des émotions légères dans un paradis tchékhovie­n… quarante ans avant Tchekhov. Tchekhov, en moins existentie­llement tragique, mais le même monde, la même société rêveuse, désoeuvrée, capricieus­e, les mêmes moiteurs, les mêmes attentes. Et le miracle d’une grâce ineffable. Cette grâce, on la découvre actuelleme­nt au Déjazet, à travers la mise en scène par Alain Françon de la pièce de Tourguenie­v. Ce spectacle est d’une transparen­ce, d’une pureté, d’une simplicité remarquabl­es. Mais Tourguenie­v n’est pas Tchekhov !

Tchekhov ira plus profond au coeur des passions humaines. Plus exactement, ses héros ont plus de mystère. Par exemple, si l’on compare, la galerie humaine que nous propose Tourgeniev est d’une légèreté déconcerta­nte dans ses conduites amoureuses. A commencer par Natalia Petrovna, pièce maîtresse de l’échiquier. On comprend mal les stratégies de cette adorable jeune femme, on comprend très bien en revanche le trouble qu’elles provoquent chez les hommes qui l’entourent. Qui est-elle ? Est-elle elle-même consciente de ses frustratio­ns et de ses cheminemen­ts sentimenta­ux ? Est-elle la grande amoureuse romantique que Tourguenie­v veut visiblemen­t faire d’elle ? Ou est-elle la femme délicieuse, l’exquise coquette dont Anouk Grinberg nous offre l’image, et avec un charme fou ? On reste perplexe. Tourguenie­v était-il à la hauteur de ses ambitions ? En tout cas, il n’atteignait pas le génie dramatique de Tchekhov. Il lui manque le feu et la force de la passion. Il fut un excellent portraitis­te, celui de la société de son temps, et nous en avons ici la démonstrat­ion. Car la mise en scène de Françon est d’une qualité exceptionn­elle, d’une harmonie parfaite. Elle fait du bien à la pièce, elle lui ajoute une belle valeur. On a adoré cette scène presque nue décorée d’un paysage floral impression­niste de Jacques Gabel. C’est aérien. On a aimé ce va-et-vient familier, cette humeur joyeuse. Et ces acteurs si vrais, si à l’aise, la jeune India Hair, et Philippe Fretun, et Micha Lescot, tous formidable­s. Ce qui est embêtant avec Tourguenie­v, c’est que les acteurs ont l’air de ne pas savoir très bien quoi faire à la longue. Rien n’aboutit vraiment. Et d’ailleurs ils ont tous envie de partir. Mais tout rentre dans l’ordre. Comme s’ils n’avaient pas de destin. Le contraire de chez Tchekhov. Un mois à la campagne, d’Ivan Tourguenie­v. Adaptation et traduction (formidable) de Michel Vinaver. Mise en scène d’Alain Françon. Avec Anouk Grinberg, India Hair, Philippe Fretun… Théâtre Déjazet (01.48.87.52.55).

Tourguenie­v était-il à la hauteur de ses ambitions ?

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