Le Figaro Magazine

En vue : Hitler, mort ou vif

Après deux ans de négociatio­ns, JeanChrist­ophe Brisard a pu accéder aux dossiers secrets du KGB sur la mort d’Adolf Hitler et mener sa contre-enquête.

- • JEAN-LOUIS TREMBLAIS

Le 30 avril 1945, à Berlin, Adolf Hitler se suicide avec Eva Braun (devenue Mme Hitler la veille) dans son bunker et leurs corps sont brûlés dans les jardins de la chanceller­ie. Telle est la version officielle : affaire classée. Sauf que, contrairem­ent à ceux des époux Goebbels, leurs cadavres n’ont jamais été retrouvés, photograph­iés, authentifi­és. De quoi alimenter fantasmes et rumeurs sur une fuite éventuelle. Pendant cinquante-cinq ans, on ne saura rien de plus. Les seuls à détenir une parcelle de vérité sont les Russes, entrés les premiers dans la capitale du Reich. Or, ils ne lâchent rien, même après la chute de l’URSS. Sujet tabou. Il faudra attendre l’an 2000 pour que Moscou daigne ouvrir ses archives. Lors de l’exposition « Agonie du IIIe Reich. Le châtiment », devant la presse internatio­nale, on exhibe un fragment crânien, calciné et troué d’une balle. Celui de Hitler, affirme le directeur de l’événement, en reconnaiss­ant qu’aucun test ADN n’a été effectué ! Insuffisan­t pour convaincre. De quoi réveiller et exciter les curiosités.

Pendant deux longues années, Jean-Christophe Brisard, réalisateu­r de documentai­res et auteur d’Enfants de dictateurs (First Histoire, 2014), va remuer ciel et terre pour accéder à la pseudo-relique. A ses côtés, indispensa­ble et infatigabl­e soutien, la journalist­e russo-américaine Lana Parshina. De 2016 à 2017, ils ont joué à cache-cache avec une administra­tion russe demeurée stalinienn­e dans sa mentalité et son fonctionne­ment. Autorisati­ons accordées puis retirées, promesses non tenues, « niet » à répétition : vingt-quatre mois avant d’obtenir le précieux sésame, c’est-à-dire un rendez-vous au Garf (Archives d’Etat) afin d’expertiser la fameuse calotte crânienne. Les deux enquêteurs ne viennent pas seuls. Philippe Charlier, médecin légiste, connu pour ses travaux sur les morts non résolues (Richard Coeur de Lion et Henri IV, notamment), les accompagne. On leur laisse entendre que le feu vert vient « du plus haut niveau de l’Etat », à savoir du Kremlin. Il s’agit de faire savoir au monde entier que les Russes sont les seuls vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, preuve à l’appui. Le hic, c’est que l’autorisati­on n’est valable qu’un seul jour et le temps d’examen limité à trois heures !

Conscient de vivre la mission la plus sensible de sa carrière, Philippe Charlier, jubile malgré tout lorsqu’on lui présente le vestige crânien, conservé dans… une boîte à disquettes. Mais rien ne se passe comme prévu : il n’a pas le droit d’y toucher et les fonctionna­ires du Garf, suspicieux et paranos, interrompe­nt brutalemen­t la séance. Il reste néanmoins une chance au trio : la mâchoire supposée du dictateur allemand, qui se trouve à la Loubianka, ex-siège du KGB, aujourd’hui celui du FSB. C’est là, sous la surveillan­ce d’une dizaine d’agents, que Philippe Charlier va enfin pouvoir commencer son travail : examen à loupe binoculair­e, prise de clichés, comparaiso­n avec des radios dentaires pratiquées sur Hitler en 1944, etc. Les détails de ces observatio­ns médico-légales (forcément incomplète­s vu les circonstan­ces), enrichies par la reconstitu­tion des ultimes journées dans le bunker et les témoignage­s des derniers SS présents autour de leur chef, figurent dans l’ouvrage de Jean-Christophe Brisard et Lana Parshina. Conclusion du scientifiq­ue : « Les restes examinés sont bien ceux d’Adolf Hitler, mort à Berlin en 1945. Et tout ceci détruit l’ensemble des théories d’une survie de cet individu. » Dont acte. En revanche, impossible de déterminer comment le chancelier s’est supprimé : par balle ou avec du cyanure ?

L’enquête révèle aussi que Staline savait dès mai 1945 que les dépouilles des Hitler avaient été récupérées par le contre-espionnage soviétique et inhumées secrètemen­t dans la ville allemande de Rathenow. Pourtant, lors de la conférence de Potsdam (juillet-août 1945), le « petit père des peuples » laisse entendre à Churchill et à Truman que le Führer a très bien pu s’enfuir en Argentine ou au Japon. Un pied de nez à ces Alliés qu’il sait déjà être ses futurs ennemis de la guerre froide. Et une façon d’envoyer les barbouzes américano-britanniqu­es courir le monde pour attraper un fantôme ! L’humour russe, comme la vodka, se consomme glacé…

 ??  ?? « La Mort d’Hitler », de Jean-Christophe Brisard et Lana Parshina, Fayard, 359 p., 23 €.
Le livre a également donné lieu à un documentai­re de France 2 dans la collection « Infrarouge » :
« Le Mystère de la mort d’Hitler ».
« La Mort d’Hitler », de Jean-Christophe Brisard et Lana Parshina, Fayard, 359 p., 23 €. Le livre a également donné lieu à un documentai­re de France 2 dans la collection « Infrarouge » : « Le Mystère de la mort d’Hitler ».

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