De notre correspondant... Martin Selmayr
Coup d’Etat », « putsch bureaucratique », « fait du prince » : les critiques déferlent depuis un mois dans les couloirs du Berlaymont, le bâtiment qui héberge la Commission de Bruxelles, avant de s’évanouir sur ses moquettes rêches et de glisser sur ses parois vitrées. Le nom de Martin Selmayr – prononcer Selmayeur –, nouvel homme fort des instances européennes, s’énonce désormais mezza voce, de peur d’électriser l’atmosphère policée de la bulle qui règne sur la destinée de 512 millions d’Européens. Cet Allemand ambitieux, âgé de 47 ans, dont quatorze passés entre ces mêmes murs, vient d’être catapulté au poste stratégique de secrétaire général de la Commission européenne, après avoir occupé celui de chef de cabinet de JeanClaude Juncker, président de la même institution.
Doté d’une formidable capacité de travail, d’une efficacité certaine et d’un tempérament direct, réputé peu accommodant, Martin Selmayr orientait la ligne politique de la Commission : il en dirige désormais les 33 000 fonctionnaires. Sauf que le poste, d’ordinaire réservé à un haut gradé apolitique, lui a été attribué à la surprise de tous, à la suite d’un tour de passepasse dont les bureaucrates ont le secret, lors d’une réunion interne des commissaires, le 21 février dernier. De l’avis des juristes, exégètes du règlement communautaire, cette nomination a été conduite sans aucune transparence et en l’absence de véritable mise en concurrence avec d’autres candidats, hommes ou femmes, ainsi que le prévoit pourtant le statut de la fonction publique européenne.
Surnommé « le Raspoutine du chef de l’exécutif », le bras droit du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker était déjà un pivot incontournable voire redouté. Perçu par certains comme autoritaire, Martin Selmayr a révélé d’évidentes qualités d’homme politique au cours de sa trajectoire fulgurante. Avocat de formation devenu tour à tour porte-parole, conseiller principal de la Commission Barroso, puis membre du conseil d’administration de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), il s’installe, en 2014, au poste le plus convoité du cabinet de JeanClaude Juncker. L’admiration qu’il suscite chez certains est proportionnelle à la fatigue qui entache la mandature de ce Luxembourgeois en fin de carrière dont l’action est jugée peu mobilisatrice.
Cette nomination précipitée tombe au plus mal. Le « Selmayrgate » comme on l’appelle déjà outre-Quiévrain, intervient en pleines négociations de sortie de l’UE du Royaume-Uni et à un an des élections européennes. Il risque d’altérer encore l’image des instances bruxelloises, déjà largement décrédibilisées, et d’attiser la colère des proeuropéens. Manifestant la leur, les députés ont diligenté la semaine dernière une enquête de la Commission de contrôle budgétaire (Cocobu), afin de s’assurer que les règles du statut de la fonction publique européenne n’avaient pas été violées ou contournées lors de cette fameuse réunion du 21 février où Selmayr a hérité des pleins pouvoirs. Elle rendra ses premières conclusions avant la prochaine plénière à Strasbourg, mi-avril. Auparavant, les présidents de groupes parlementaires auront pris la décision cruciale d’appuyer ou non cette nomination. Le Parti populaire européen (PPE), parti majoritaire de Merkel, Juncker et plus généralement des amis de Selmayr, y dispose d’une voix prépondérante. Mais en tant qu’institution, le Parlement manque rarement de « se payer » la Commission – surtout à l’approche des élections européennes. Le « Selmayrgate » est d’autant plus regrettable qu’il touche à la gouvernance communautaire : à ce poste de secrétaire général de la Commission, Martin Selmayr a pour rôle principal de veiller à ce que les Etats membres respectent les traités européens. Cette fonction exige certes de l’autorité, mais aussi une crédibilité sans faille…
GUYONNE DE MONTJOU
Il dirige une administration de 33 000 fonctionnaires