MAYOTTE EN PLEIN CHAOS
Promu hâtivement 101e département français en 2011, Mayotte vit des crises à répétition, provoquées par l’immigration clandestine et une insécurité galopante. Une situation quasi insurrectionnelle.
A 8 000 kilomètres de la métropole, un département d’outre-mer à la dérive
Tristes tropiques ! Il y a quelque chose de pourri sur l’île aux Parfums, autrefois réputée pour ses plantations d’ylang-ylang. L’odeur des ordures, qui ne sont plus collectées par la voirie et s’amoncellent un peu partout, s’est substituée aux fragrances de Guerlain. Paralysé depuis six semaines par un mouvement social persistant et ingérable, le 101e département français vit une situation quasi insurrectionnelle. Grèves, blocages, barrages, manifestations, et, depuis le week-end dernier, apparition de milices d’autodéfense procédant à des « décasages » (destruction de logements illégaux) manu militari : la population mahoraise, à la fois actrice et victime de la crise, n’en peut plus. Même la visite de la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, n’a pas suffi à désamorcer la bombe à fragmentation.
Cette catastrophe annoncée a deux causes : l’immigration clandestine et l’insécurité galopante, la première nourrissant la seconde. Dès son arrivée à Mamoudzou, la principale agglomération, le voyageur est brutalement immergé dans la réalité. A l’hôtel Caribou (bienvenue, en shimaoré, la langue autochtone d’origine swahilie), une note de la réception avertit la clientèle : « Suite à de nombreuses agressions en soirée et au manque d’éclairage sur la place Mariage et en ville, nous vous conseillons d’être extrêmement vigilants lors de vos déplacements à partir de 18 h 30. » Au restaurant de
Une immigration clandestine parfaitement organisée au départ des Comores voisines
l’établissement, un panneau est affiché sur les WC, dont la serrure est cadenassée : « Dégradations, vols, manque de civisme nous contraignent à fermer nos toilettes. » La lecture de France Mayotte, aux manchettes plus horrifiques les unes que les autres, achève la mise en condition. Il y est question de caillassages de bus scolaires, d’attaques de collèges ou de lycées, d’enseignants molestés, de rixes au tchombo (machette locale) entre bandes d’ados, d’automobilistes détroussés par des « coupeurs de route », de cambriolages à répétition (1), de morgue pleine, etc. Bienvenue à Mayotte, effectivement !
Commençons par le commencement. Aux racines du mal, si l’on ose dire. Rendez-vous est pris au siège de la police aux frontières (PAF), sur Petite-Terre. Mobilisés 24 heures sur 24, agissant sur terre comme sur mer, ses hommes constituent le fer de lance de la lutte contre l’immigration clandestine qui provient à 98 % des Comores, ex-Tom (territoire d’outre-mer) devenu indépendant en 1975 alors que Mayotte choisissait de rester française (lire notre encadré). Le modus operandi est hélas connu : au départ d’Anjouan, située à 70 kilomètres du littoral mahorais, des pirogues à moteur appelées kwassa-kwassa – nom d’une danse africaine signifiant « ça tangue, ça tangue ! » – embarquent les candidats à l’exil moyennant 300 ou 400 euros. Un trafic juteux pour les passeurs : mesurant moins de 10 mètres, conçues pour une demi-douzaine de passagers, elles en transportent parfois jusqu’à 40. Sans compter les jerricanes d’essence et, de temps en temps, un zébu ou un cabri, censés fournir la pitance à l’arrivée.
A condition de réussir la traversée : avec un plat-bord réduit au minimum, chargés jusqu’à la gueule, ces frêles esquifs chavirent au moindre grain, voire à la moindre houle. Selon un rapport du Sénat, 12 000 personnes seraient mortes en tentant ainsi de gagner Mayotte.
LE TRAFIC INCESSANT DES KWASSA-KWASSA
Alertée par les radars de la Marine nationale et les vedettes de surveillance de la gendarmerie maritime, la PAF intercepte environ 400 kwassa-kwassa chaque année. Mais ils sont des milliers de Comoriens à passer à travers les mailles du filet et à toucher le sol français, avec son jackpot évident : un PIB 13 fois supérieur, des soins gratuits, une maternité qui fonctionne à plein régime (2) et une régularisation éventuelle…
Accoucher dans ce département du bout du monde permettra aux enfants de bénéficier de la nationalité française
L’autre mission de la PAF consiste à les repérer et à les arrêter. Tel est le rôle du groupe d’appui opérationnel (GAO) que nous accompagnons. Une dizaine de fonctionnaires, bien entraînés et bien équipés, qui patrouillent quotidiennement sur Grande-Terre à bord de leurs Duster 4 x 4. Surnom de cette unité : la « policebasket », car les contrôles se terminent souvent en sprints effrénés dans la mangrove ou les bidonvilles. Ce n’est pas un hasard si son emblème (siglé sur les teeshirts) est le guépard ! « On ne sort jamais à moins de dix, explique le chef d’équipe, un ancien de la brigade anticriminalité (BAC). Non pas à cause de la population, qui nous apprécie et nous encourage, tant le ressentiment anticlandestin est au paroxysme. Mais parce que les interpellations sont de plus en plus difficiles et dangereuses. On ne s’attarde pas trop dans les bangas (3). Il faut éviter les attroupements, les guets-apens, les jets de pierre. Et puis les sans-papiers sont prêts à tout pour nous échapper. Quitte à mettre leur vie en péril, et la nôtre indirectement. » Et de citer le cas récent d’un collègue qui a eu le bras arraché en dévalant une ravine avec un récalcitrant qu’il était en train de neutraliser. La « pêche du jour » (une douzaine de Comoriens) se déroule sans encombre, si ce n’est une course-poursuite mouvementée dans un marécage in-
A Mayotte, la moitié de la population a moins de 18 ans et un jeune sur trois n’a jamais été scolarisé
sane et fétide. Les autres, après vérification des identités, se laissent cueillir avec fatalisme : ils savent qu’ils reviendront. Anjouan est si proche, en kwassa-kwassa ! Un petit malin attend même les véhicules de la PAF avec sa valise et fait du stop. L’occasion de rentrer gratos. Car la République est généreuse : après un bref séjour – 17 heures en moyenne – dans le centre de rétention administrative (CRA) flambant neuf, pourvu de tout le confort moderne et de la télévision satellite, il sera installé dans l’un des deux ferrys prévus à cet effet et reprendra la direction des Comores. Coût pour l’Etat : 140 euros par trajet. Sachant que la PAF de Mayotte expulse 20 000 clandestins chaque année (la moitié du total national), la facture des seuls éloignements est facile à calculer…
UN HABITANT SUR DEUX EST ÉTRANGER
On l’aura compris : Mayotte tient du tonneau des Danaïdes et du rocher de Sisyphe. Une usine à gaz, dans laquelle Paris injecte 1,2 milliard d’euros annuels. Et ça ne va pas s’arrêter là : au rythme de 4 % par an (elle est de 0,4 % pour toute la France), la croissance démographique
y est exponentielle. Officiellement, d’après le recensement de l’Insee en 2017, Mayotte compte 256 500 habitants, dont 42 % d’étrangers, et la moitié de ce dernier contingent est en situation irrégulière. Pour le député LR Mansour Kamardine, qui souligne au passage avoir été cambriolé 15 fois en deux ans, les véritables statistiques sont
plus inquiétantes : « Au vu des importations (98 % de ce qui est consommé sur place est importé), je chiffre la population à 400 000 individus, dont 52 % de non-Mahorais. C’est comme si la métropole avait 35 millions d’étrangers sur son territoire ! Qui peut résister à une telle pression migratoire ? Les Mahorais, qui sont pourtant chez eux, n’ont même plus accès aux services publics, saturés par l’immigration illégale. » Il condamne pêle-mêle les années
Hollande (« abandon programmé » et « aveuglement volontaire »), un « grand remplacement de population » orchestré au plus haut niveau et le trouble jeu du Quai d’Orsay, fort gêné par le contentieux territorial qui empoisonne les relations franco-comoriennes depuis 1975. En effet, l’Union des Comores n’a jamais accepté la sécession de Mayotte et la considère comme sienne. Isolée
à l’ONU et stigmatisée par l’Organisation de l’unité africaine (OUA), la France ferait profil bas et accepterait le chantage aux migrants afin de maintenir le statu quo et la tranquillité diplomatique. Une thèse qui s’est vérifiée le 21 mars (au plus fort des troubles), lorsque Moroni a interdit aux navires français raccompagnant les expulsés d’accoster à Anjouan ! Un match de ping-pong immoral dont les balles sont avant tout les ressortissants comoriens instrumentalisés par leurs dirigeants et cyniquement utilisés comme monnaie d’échange…
DES ZONES DE NON-DROIT INSALUBRES
Les conséquences de la pression migratoire, aussi spectaculaire qu’incontrôlable, sont multiples. Sur l’urbanisme d’abord, comme en témoigne Assani Bamcolo, maire de Koungou, municipalité où la moitié des 30 000 habitants sont illégaux. Dans sa commune, les nouveaux arrivants, non répertoriés et non appréciés, squattent les terrains publics ou privés (appropriation d’autant plus aisée que 80 % du foncier mahorais n’est toujours pas ca- dastré !) pour y bâtir leurs bangas en une nuit, sachant que la préfecture n’en ordonnera pas la destruction une fois que le toit – une simple plaque de tôle – est posé (la loi française l’interdit). Pour construire et survivre, ils saccagent l’environnement, coupant les arbres pour leurs cases et pillant le lagon (braconnage des tortues, notamment). Sans parler de l’érosion provoquée par cette poussée anarchique : sur les hauteurs de Koungou, le 10 janvier dernier, une mère de famille et quatre de ses enfants ont péri, ensevelis sous une coulée de boue suite à des précipitations diluviennes. Le premier édile de Koungou (dont le prédécesseur, octogénaire, a été assassiné à coups de marteau, ce qui donne une idée de l’ambiance) ne décolère pas : « Des milliers de personnes vivent dans ces zones de non-droit, insalubres et dangereuses. Pour nous, l’insécurité n’est pas un mot mais un fait. On s’enferme et on se barricade, le soir. Les restaurants ferment les uns après les autres car personne n’ose sortir après le crépuscule. On subit un couvre-feu de facto. Quand j’appelle la gendarmerie pour rétablir l’ordre ou déloger des occupants illégitimes, on me répond : envoyez un mail ! »
Un archipel islamisé par les marchands arabes venus du golfe Persique au XVIe siècle
Les Mahorais n’ont même plus accès à des services publics saturés par l’immigration clandestine
Même son de cloche à la municipalité de Tsingoni, capitale de Mayotte à l’époque des sultans et qui s’enorgueillit de posséder la plus ancienne mosquée de France (4). Son patron, Mohamed Bacar, qui nous montre la
porte défoncée de son bureau (« un chômeur excité qui voulait du boulot ! »), se sent abandonné par les autorités :
« Le problème numéro un est l’immigration clandestine qui gangrène les institutions et la société, et diffuse par capillarité. Or, cette question relève du domaine régalien. C’est au gouvernement d’agir. » Mais il pointe aussi
l’émergence d’une jeunesse sans repères, « qu’elle soit comorienne ou mahoraise », influencée par les réseaux sociaux et qui n’a plus le respect des anciens : « Autrefois, on allait à l’école coranique le matin, à l’école publique ensuite et on finissait à la madrasa. Aujourd’hui, on a des collèges et des lycées surpeuplés. Et le smartphone comme seule boussole. Les liens sociaux sont dissous et la délinquance grimpe en flèche. » Quid de l’islam, dans ce département musulman où l’habit traditionnel est le kichali (châle) pour les femmes et l’ensemble boubou-kofia pour les hommes ? « On voit de plus en plus de jeunes qui vont étudier en Egypte, au Soudan ou en Arabie saoudite, répond l’élu de Tsingoni. Au retour, certains professent un islam radical et se proclament fundis (pseudo-théologiens et crypto-guérisseurs, ndlr). Pour l’instant, ça ne prend pas, car c’est aux antipodes de notre conception mesurée et modérée de la religion. Quelques mosquées, trop extrémistes et trop islamistes, ont même été démantelées par des collectifs de citoyens ! » Pour l’instant…
40 % DES SOINS PRODIGUÉS À DES NON-ASSURÉS
Autres effets induits : les faillites éducatives et sanitaires. Sur le premier point, dans un contexte de collèges et de lycées surpeuplés, il suffit de rappeler deux chiffres : 50 % de la population a moins de 18 ans et 75 % des 16-25 ans sont déclarés « en difficulté de lecture ». Quant à la santé publique, elle peine à fournir et à soigner. Dès 6 heures du matin, des multitudes colorées et chamarrées font la queue devant le centre hospitalier de Mayotte (CHM). Normal : notre exotique département soigne tout le monde, avec ou sans sécurité sociale. Oumar Massoundi, maïeuticien de profession, est au coeur du réacteur : la maternité, objectif de toute Comorienne en gésine, droit du sol oblige. Ce qu’il décrit dépasse l’entendement : « On ne pratique que les accouchements complexes au CHM. Dès que les femmes sont jugées transportables, au bout de trois ou quatre heures, on les transfère dans des maternités périphériques, en ambulance. Il n’y a plus de dimension humaine tant nous sommes en surcharge de travail, mobilisés en permanence et sans pouvoir récupérer. Il m’est arrivé de voir 16 accouchements en une seule garde (12 heures). D’ailleurs, les Mahoraises qui peuvent se le permettre vont désormais accoucher à la Réunion. Plusieurs centaines par an, et de plus en plus. Et puis, il y a un déficit de personnel : les sages-femmes venues de France, tout comme les médecins obstétriciens, sont des contractuelles qui ne restent pas