LES CLÉS POUR COMPRENDRE
Le prince héritier d’Arabie saoudite arrive à Paris ce 8 avril pour conclure une tournée débutée à Londres et poursuivie aux Etats-Unis. Agé de 32 ans, réformateur audacieux, le futur roi voit sa politique se heurter à trois obstacles qu’il devra surmonte
1 UNE FAMILLE ROYALE RÉTICENTE VOIRE HOSTILE
Son père, l’actuel roi Salman ben Abdelaziz al-Saoud, 82 ans, a bouleversé l’ordre à deux reprises pour en faire son successeur. En 2015, lors de son accession au trône, il a d’abord conféré le titre de prince héritier à son demi-frère Moukrine. Trois mois plus tard, il l’a remplacé par son neveu Mohammed ben Nayef, destitué à son tour en juin 2017 au profit de son propre fils. Pour faire bonne mesure, en novembre dernier, le jeune prince héritier a fait arrêter et séquestrer à l’hôtel Ritz-Carlton de Riyad des centaines de dignitaires dont 11 princes dans le cadre d’une opération anticorruption. Et ceux-ci n’en sont ressortis qu’au prix de lourdes transactions financières. Autant dire que Mohammed ben Salman ne fait pas l’unanimité parmi ses cousins.
Citant des sources haut placées à Washington, la chaîne américaine NBC a même affirmé qu’il avait fait assigner à résidence sa propre mère, la princesse Fahda bint Falah ben Sultan al-Hithalayn, parce qu’elle désapprouvait sa stratégie de prise de pouvoir et voulait en parler à son père. Le prince héritier a fait catégoriquement démentir ces informations.
2 UNE ÉCONOMIE EN PLEINE MUTATION
Mohammed ben Salman tente de transformer une Arabie saoudite dépendante du pétrole en une économie diversifiée. Dans ce but, il applique une « thérapie de choc ».
Il y a urgence : la rente pétrolière ne suffit plus à faire vivre les 29 millions de Saoudiens. Or, la moitié de la maind’oeuvre est composée d’expatriés. Aujourd’hui, 25 % des Saoudiens de moins de 30 ans sont au chômage. Et cela va empirer : en 2030, il faudra doubler le nombre d’emplois pour absorber la poussée démographique. Cette année, le déficit budgétaire devrait dépasser les 50 milliards de dollars malgré la cure d’austérité décidée par le prince héritier. Et le taux de chômage est monté à 12,1 % de la population active. Pour contrecarrer les effets négatifs à court terme de ses réformes, Mohammed ben Salman a lancé son plan « Vision 2030 ». Il compte, entre autres, pousser la production de gaz naturel, passer à la fois aux énergies renouvelables et au nucléaire civil. En outre, et c’est le but de sa tournée internationale, il entend séduire les investisseurs pour qu’ils viennent créer des emplois. Enfin, il espère vendre 5 % du capital d’Aramco, la compagnie pétrolière nationale.
3 UNE POLITIQUE RÉGIONALE RISQUÉE
Prince héritier, Mohammed ben Salman est également ministre de la Défense depuis plus de trois ans. Il est donc l’architecte de l’opération contre les rebelles houthis au Yémen depuis 2015. Son objectif consiste à reprendre la partie occidentale du pays, dont la capitale Sanaa, et rétablir le président légitime Abdrabbo Mansour Hadi, qui a dû fuir en mars 2015. L’Arabie saoudite apporte un appui aérien aux forces loyalistes contre celles de Houthis, soutenues par l’Iran. En trois ans, la guerre a, selon l’ONU, fait 10 000 victimes civiles. Pour le budget de Riyad, la facture s’élèverait à 200 millions de dollars par jour, selon plusieurs instituts stratégiques.
L’image du prince héritier dépendra beaucoup de l’issue de cette opération et des solutions politiques qui pourraient l’abréger. Les tensions avec l’Iran ne se limitent pas au Yémen. Elles ont aussi conduit Mohammed ben Salman à établir un blocus du Qatar, jugé trop proche de Téhéran. Or, cette ostracisation de l’émirat n’a pas produit les effets escomptés. Bien que fan déclaré du prince héritier saoudien, Donald Trump a même tenté une médiation avec Doha.