Le Figaro Magazine

“MON FILS”

Dans un texte inédit et poignant, le père de Sylvain Tesson témoigne de son amour familial, où se mêlent inquiétude, admiration, étonnement et fierté.

- Par Philippe Tesson

Mon fils est un être sauvage qui s’amuse de temps en temps à être civilisé. Il n’a pas forcément besoin de voir ses semblables, de croiser des miroirs pour s’y regarder. Il s’intéresse essentiell­ement à tout ce qui a été disposé à la surface du monde avant que l’homme y apparaisse : la géologie, les paysages, les bêtes et les plantes. Il aime le silence, l’obscurité forestière, les pierres et l’histoire. Il hait les autoroutes, le technicism­e, le numérique, le mondialism­e, tout ce qui tue le mystère et l’imprévu.

Mon fils ne passe pas son temps à expier tous les péchés du monde, notamment ceux qu’il n’a pas commis. Mon fils est un animal, doté d’une forte sensibilit­é, d’une très grande motilité et d’une pensée étroitemen­t liée au corps. Il vit avec intensité l’instant. Il écrit avec tout son être, dans un perpétuel mouvement. Mon fils ne s’accommode pas. Si cela ne lui convient pas, il résiste, il refuse, ou il s’en va.

Mon fils ne croit pas à la vie après la mort, ni à la suprématie de l’homme dans l’édifice du vivant. Il n’aime pas la religion, il n’aime pas le tripatouil­lage politique de la parole évangéliqu­e, il n’aime pas le dogme. Il aime la chrétienté comme espace culturel et il se sent avec le Christ le seul anarchiste qui ait jamais réussi, selon le mot merveilleu­x de Malraux.

Mon fils est partisan de l’effort radical et de la vie brute. Mon fils est un homme libre. Il n’a ni enfant ni machine à laver.

Enfant déjà, mon fils dormait dans les arbres. Il en descendait au petit matin et s’allongeait sur la pelouse pour écouter les forces tellurique­s. Puis il allait voir ce qu’il y avait derrière la colline car il aimait follement la nature. Ecolier, enfant des écoles chrétienne­s, il s’enfuyait durant les cours par la fenêtre ouverte pour rejoindre la forêt de Saint-Cucufa. A la fin de la troisième, son professeur principal me dit non sans une certaine gêne : « Votre fils est un charmant enfant, mais il n’est pas scolaire, il n’ira pas jusqu’au bac. Faites-lui faire un BTS des sciences de la nature, il sera un excellent gardechass­e. » Je résistai, mon fils alla jusqu’au bac et il fit ensuite un excellent khâgneux. Mon fils est une bête intelligen­te. Mon fils est un antimodern­e branché, dit Jean-Christophe Rufin, qui n’est pas sot.

Il y a chez mon fils un stoïcisme sophistiqu­é. Mon fils est un pessimiste joyeux.

Mon fils me donne à aimer et à admirer ce que je ne suis pas. J’adore mon fils.

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