DICKER DÉCLINE
Notre chroniqueur voulait saluer le succès du dernier roman de Joël Dicker, « La Disparition de Stephanie Mailer ». Malheureusement, il l’a lu.
Ce qui n’a pas de succès est forcément très bon,
parole de critique », écrit Joël Dicker à la page 633 de son dernier roman, insinuant que la critique littéraire lui ferait payer son succès. Nous promettons avoir ouvert son dernier roman avec le regard, certes inquiet, mais tout de même innocent, d’un agnelet voyant approcher les fêtes pascales. Le titre, La
Disparition de Stephanie Mailer, rappelle La Vérité sur
l’affaire Harry Quebert : en marketing, on ap- pelle cela une déclinaison de gamme. L’erreur que font parfois les écrivains à succès, c’est d’écrire des livres différents les uns des autres.
Ce n’est pas le cas de Joël Dicker, qui a le mérite de proposer exactement le même livre tous les trois ans. L’action se déroule une fois de plus aux Etats-Unis, et, comme d’habitude, un personnage d’écrivain se met en tête d’élucider un crime. Vingt ans après un quadruple meurtre, la journaliste mentionnée dans le titre émet des doutes sur l’enquête policière. Peu après, elle disparaît. L’intrigue, on le voit, est captivante comme un épisode du Club des Cinq. L’influence d’Enid Blyton sur M. Dicker est aussi formelle : il abuse des clichés, du genre « mon
sang ne fit qu’un tour ». A côté, Guillaume Musso, c’est Pierre Guyotat. Pour être compris, M. Dicker se répète beaucoup, chaque personnage récapitulant l’histoire à
l’attention des lecteurs inattentifs. Dès la première phrase, notre intelligence est insultée : « Seuls les gens familiers avec la région des Hamptons, dans l’Etat de New York, ont eu vent de ce qui se passa le 30 juillet 1994 à Orphea, petite ville balnéaire huppée du bord de l’océan. » Oui, vous avez bien lu : une ville balnéaire du bord de l’océan. La deuxième phrase nous prend aussi pour des benêts : « Ce soir-là, Orphea inaugurait son tout premier festival de théâtre, et la manifestation, de portée nationale,
avait drainé un public important. » Résumons la situation : l’incipit vient de nous expliquer que
« Seuls les gens familiers avec la région des
Hamptons ont eu vent » de cette histoire, mais dès la phrase suivante, nous assistons à un événement « de portée nationale, [ayant] drainé un
public important », et dont, logiquement, les gens extérieurs aux Hamptons ont dû avoir vent. Soit l’auteur n’a pas relu son texte, soit il estime que nous sommes incapables de nous souvenir de la phrase qui précède. La lecture des 634 pages restantes confirme que tout l’art de Dicker consiste à mal formuler des inepties ainsi qu’à ressasser des péripéties non crédibles. Insistons bien sur ce point : ce qui a du succès n’est pas forcément mauvais. Sauf quand c’est signé Joël Dicker.
La Disparition de Stephanie Mailer, de Joël Dicker, Editions de Fallois, 635 p., 23 €.