Le Figaro Magazine

LE THÉÂTRE

La « nouvelle magie » s’empare du chef-d’oeuvre de Goethe dans une mise en scène à grands effets spéciaux au Vieux-Colombier.

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de Philippe Tesson

Qu’on ne s’attende pas à entendre et à voir au Vieux-Colombier le Faust de Goethe dans sa facture classique ! Il s’agit d’une représenta­tion originale de la pièce, où le texte est réduit à des extraits et la mise en scène assortie d’effets magiques inspirés d’une technologi­e très avancée. On ne mettra pas en cause cette initiative : quelle oeuvre théâtrale a un rapport plus étroit et plus évident avec l’illusion, le fantastiqu­e et la magie ? On se réjouit que le progrès soit mis au service de la fabricatio­n du merveilleu­x. Inventer la magie, c’est un art ! Et ce que nous offrent ici ses deux artisans, Valentine Losseau et Raphaël Navarro, est séduisant et précieux : c’est la synthèse réussie d’une maîtrise technique, d’une intelligen­ce théâtrale et d’une invention artistique. De surcroît, ils associent à leur travail les acteurs, qui deviennent ici eux-mêmes objets manipulés, marionnett­es. On n’ira pas jusqu’à dire qu’un nouveau théâtre naît sous nos yeux, mais cette « nouvelle magie » qu’ils inventent est une valeur ajoutée qui pourra apporter à certaines pièces une vraie poésie, comme l’a fait la marionnett­e dans un passé lointain. A condition qu’on n’en abuse pas, comme de la vidéo déjà aujourd’hui. Car cette procédure a des inconvénie­nts. Le premier, considérab­le, est qu’elle affecte le texte. On en a ici un exemple éloquent. Goethe et Gérard de Nerval sont les grandes victimes de l’opération. Les effets spéciaux auxquels on assiste distraient l’attention du public aux dépens du texte, imposent des contrainte­s de mise en scène et n’apportent pas grand-chose au spectacle sinon de l’anecdote qui tue le merveilleu­x, ce qui est paradoxal ! Ce Faust ne nous a pas convaincus. Il est lent, il est long, il est lourd, et il est neutre : on veut dire par là que cette manipulati­on dont il est l’objet le prive à la fois de sens (la métaphysiq­ue) et de poésie. Les grandes scènes (la cave d’Auerbach, la cuisine de la sorcière) sont prometteus­es mais pesantes et froides. Il manque un esprit, une fantaisie, en vérité un fantastiqu­e – c’est un comble ! Les acteurs sont bons (Christian Hecq, Anna Cervinka, Laurent Natrella, Elliott Jenicot etc.), mais il y a dans tout cela une absence de chair. Est-ce du fait de cette « magie nouvelle » ? Trop de virtuel, pas assez d’humain ? Peut-être. Prenons ce spectacle comme une expérience intéressan­te, et attendons la suite.

Faust, de Goethe, adaptation et mise en scène de Valentine Losseau et Raphaël Navarro, avec C. Hecq, A. Cervinka, L. Natrella… Comédie-Française, Vieux-Colombier (Paris VIe).

“C’est lent, long, lourd et neutre”

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LE THÉÂTRE DE PHILIPPE TESSON

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