SONIA MABROUK Femme de combat
La journaliste franco-tunisienne publie un roman sur les enfants français du djihad. Une fiction pour dire une réalité : l’horreur de l’islamisme que cette musulmane affronte avec un courage qui force le respect. Portrait.
En son coeur sommeille l’inquiétude. En apparence, Sonia Mabrouk – port altier, sourire vif – ne montre rien. A la radio, sa voix – empathique et discrètement autoritaire – ne s’élève jamais. Rigoureuse, appréciée, elle va de succès en succès et pourrait se contenter de l’air tiède de la mode. De propos convenables en postures convenues, elle se hisserait au premier rang du consensus médiatique. Dire ce qu’il faut dire, quand il faut le dire, et le reste viendrait par surcroît. Pourtant, compliments, influence, audience et vernissages n’étanchent pas sa soif. L’enfant de Tunis qui sautait sur les genoux de Bourguiba (son grand-père Mongi Mabrouk était l’un de ses compagnons de route), qui courait chez sa grand-mère au milieu des cris et des couleurs du quartier de La Goulette, a grandi au coeur de la Tunisie moderne. Aux premières loges de la comédie humaine, elle n’est dupe de rien mais continue de croire à ces choses étranges que sont la politique et le journalisme. Le roman qu’elle publie est à l’intersection des deux. L’enfant de djihadiste qui revient sur notre territoire en est la figure centrale. On appelle ça un « lionceau ». Mais nous ne sommes pas dans Walt Disney. La journaliste apaisante y dévoile une inquiétude obsédante : celle d’une guerre qui se prolongerait interminablement sur notre territoire.
Sonia Mabrouk ? C’est « Shéhérazade au pays de
Descartes », explique Charles Villeneuve, « grande voix » qui, avec la bande des anciens d’Europe 1, partage chaque dimanche le plateau avec elle. « L’Orient qui se
plierait aux règles d’une école militaire », poursuit-il. Rappelons aux esprits étourdis que Shéhérazade n’est pas une danseuse du ventre mais une tête politique, un esprit ingénieux et redoutable. Dans sa généalogie littéraire, Sonia Mabrouk place volontiers, entre Aragon et Kundera, Les Mille et Une Nuits. Militaire ? Tout en maîtrise, la journaliste montre, c’est indéniable, une discipline de fer. Celle qui a enseigné pendant quatre ans à l’IHEC de Carthage a une trajectoire spectaculaire. Elle commence dans le journalisme à Jeune Afrique, où apparaissent très vite de grandes dispositions pour le métier. Jean-Pierre Elkabbach la repère et trouve chez elle toutes les qualités d’une grande : « Le sang-froid, la culture qui empêche de sursauter au moindre événement comme s’il était sans précédent, l’art de la préparation et de l’improvisation. » Elle entre à Public Sénat. Et l’éminent interviewer de conclure : « C’est l’une des meilleures journalistes françaises. » Europe 1 le dimanche, CNews tous les jours, la jeune femme arpente d’un pas élégant et assuré les allées du pouvoir, qu’il soit médiatique, politique ou culturel. Tout Paris la célèbre, son nom circule pour les « tranches » les plus prestigieuses de la radio ou de la télévision. Ambitieuse, sans nul doute, compétente certainement.
UNE CERTAINE IDÉE DE LA FRANCE ET DE LA RÉPUBLIQUE
Les grands entretiens qu’elle fit des années durant sur Public Sénat et maintenant sur CNews en témoignent. Elle y reçoit des politiques mais préfère la liberté de ton des philosophes, intellectuels ou écrivains. Eux-mêmes en redemandent ; l’académicien Jean-Marie Rouart : « C’est une extraordinaire intelligence, une intelligence au laser. Elle vous interroge avec beaucoup de précision et d’intensité, mais bien malin celui qui sait ce qu’elle pense. Elle ne montre jamais son pouvoir, ce qu’elle cherche, c’est une forme de pouvoir invisible. » L’essayiste Malika
Sorel : « Sonia Mabrouk ne transforme pas son plateau en ring de boxe. Sans complaisance mais sans malveillance, elle laisse l’invité déployer son point de vue, ce qui est de plus en plus rare à la télévision. » Le sociologue JeanPierre Le Goff (volontiers critique sur les facilités et les
médiocrités de la télévision) : « Elle est très courageuse. Elle a une certaine idée de la France et de la République. »
Le philosophe Alain Finkielkraut, qui apprécie chez elle « sa résistance au politiquement correct » et « le soin » avec lequel elle prépare ses émissions, cherche le mot, hésite et finalement le trouve : elle est… « craquante ».
« Craquante ! » Et l’on entend encore Jean d’Ormesson s’enthousiasmer pour cette journaliste « épatante » !
« L’ISLAM DE NOS GRANDS- PARENTS A PERDU »
Discrète, pudique jusqu’à l’opacité, Sonia Mabrouk fuit le people comme d’autres le peuple. Franco-Tunisienne, musulmane, cette femme n’emprunte jamais le pont aux ânes victimaire. Si elle n’a pas la culture du manifeste elle sait pourtant quand l’actualité l’exige, hausser le ton. Ce peut être un tweet en pleine querelle autour du burkini – « Derrière le burkini, il y a surtout l’idéologie wahhabite
et sa propagande » – qui lui vaut d’être traitée d’islamophobe. Une colère froide à la télévision – à Marwan Muhammad, directeur du CCIF, elle lance sur le plateau de Thierry Ardisson : « Vous êtes une imposture ! Vous ne
représentez rien! » Une tribune dans Le Figaro après l’épisode de Kasserine en décembre 2016 : « Des djihadistes avaient voulu prendre ce village de l’arrière-pays tunisien et des femmes, voilées ou non, les ont repoussés aux cris de “Vive la Tunisie” et “Terroristes dehors”. » Une sainte révolte qui lui inspira son premier livre, Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille (Flammarion), un dialogue avec sa grand-mère Delenda. Un ouvrage charmant et profond où deux générations se répondent par-delà la Méditerranée. Une conversation qui illustre aussi le propos de Malek Chebel : « L’islam de nos grands-parents a perdu. »
Chaque soir, quand s’éteignent les écrans et les jingles
“C’est une intelligence au laser. Elle vous interroge avec beaucoup de précision et d’intensité, mais bien malin celui qui sait ce qu’elle pense. Elle ne montre jamais son pouvoir, ce qu’elle cherche, c’est une forme de pouvoir invisible” Jean-Marie Rouart
des radios, la journaliste écrit ce que fut sa journée. C’est un cérémonial. Ces derniers mois, jusqu’à une heure avancée de la nuit, elle a plongé sa plume dans la plaie la plus vive de notre temps : ces enfants de Français partis faire le djihad et qui ont grandi à l’ombre du drapeau noir du califat. Une enquête de plusieurs mois qui l’a menée des services sociaux aux services secrets, d’un prêtre spécialisé dans ces cas extrêmes aux imams enfiévrés qui regardent ces enfants comme de futurs « martyrs », des cités anonymes aux bureaux du pouvoir. Elle a vu les parents et grands-parents des « lionceaux » mais les documents, les photos d’enfants avec kalach, les certificats glaçants de l’Etat islamique n’épuisent pas un sujet qui concentre de façon incandescente le malheur Français. Comment trancher ce noeud où s’entremêlent l’enfance, pays de l’innocence, l’islamisme, terreau barbare et meurtrier, et la République française tour à tour considérée comme structure protectrice ou adversaire à abattre ? Comment dissimuler le malaise d’une nation qui invoque ses principes pour mieux renforcer ceux qui veulent les détruire ? « Seule la fiction permet de faire entendre les voix secrètes qui nous hantent », explique-t-elle. Le dialogue intérieur d’une journaliste et celui d’une revenante du djihad ne se documentent pas. C’est donc un roman que publie Sonia Mabrouk.
LE CORPS-À-CORPS EST AUSSI UN COMBAT D’ÂMES
Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Certes, les critiques littéraires – c’est leur métier – relèveront çà et là une naïveté d’expression, une facilité narrative, mais l’ensemble est fort comme l’alcool que boit secrètement son héroïne, saisissant comme le plus réaliste des tableaux. Jamais l’écrivain ne se dérobe. Elle n’évite aucun des tabous contemporains : les germes de violence dans l’islam, la volonté de conquête des djihadistes, le relativisme occidental, les églises qui se vident et les mosquées qui sont pleines, l’aveuglement technocratique d’un pouvoir dépassé. L’affrontement qu’elle décrit n’est pas seulement politique, idéologique, policier. Face au malheur des temps, le corps-à-corps est aussi un combat d’âmes. Evoquant la figure d’Arnaud Beltrame, Sonia Mabrouk se demande si le choc des civilisations n’est pas d’abord une lutte « spirituelle ». Son roman s’élève à cette altitude.