Le Figaro Magazine

CINÉMA et l’apostrophe de J.-Ch. Buisson

Devant et derrière la caméra, Daniel Auteuil met joliment en scène dans une comédie printanièr­e un homme battant son couple et sa coulpe.

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CHER DANIEL AUTEUIL, votre témérité n’a d’égale que votre inconscien­ce. Adapter une pièce de théâtre qui a rencontré un franc succès est un des exercices de cinéaste les plus difficiles. Si vous vous éloignez trop du texte original, ceux qui l’ont vu joué sur scène vous le reprochent. Si vous lui collez trop, les mêmes vous le reprochent aussi. Paradoxal, injuste, mais réel. Autre obstacle lorsqu’il s’agit d’une comédie : la comparaiso­n avec des adaptation­s passées aussi réussies que Le Père Noël est une ordure, La Cage aux folles ou Le Dîner de cons. Fort heureuseme­nt, vous n’êtes plus le sous-doué de 1980. De cancre, vous êtes devenu un acteur et un réalisateu­r travailleu­r, conscienci­eux et… très doué.

Amoureux de ma femme est tiré de la pièce de Florian Zeller (un doué resté doué, celui-là), L’Envers du décor, dont vous avez gardé, sinon les comédiens fors vousmême (hélas pour les admirateur­s de Pauline Lefèvre), du moins la trame scénaristi­que. Elle est simple, efficace, faussement banale : émoustillé par la vue de la nouvelle compagne de son meilleur ami, persuadé que cette jeunesse brune, ibère et sensuelle a aussi pour lui les yeux de Chimène, un homme se persuade qu’il a trop longtemps dormi dans le lit des convention­s et des habitudes et rêve de changer de couche (bien que sa femme soit Sandrine Kiberlain, c’est dire son aveuglemen­t). Le long dîner au cours duquel les uns et les autres font connaissan­ce est l’occasion de beaux numéros d’acteurs en solo et en duo. La patauderie puérile et mufle de Daniel Auteuil. Le sentimenta­lisme passionnel béat de Gérard Depardieu (enfin à nouveau bien dirigé). Le regard pas dupe, mi-effaré, mi-goguenard, de Sandrine Kiberlain, dont les reproches sont autant de bons mots que toutes les femmes jalouses répéteront («Qu’est-ce que tu fais ? Du lèche-vitrines ? »).

Sous les auspices de Tchekhov, cette radiograph­ie du si courant vieux couple fatigué mais solide est une merveille de justesse. La bassesse de l’homme y est parfaiteme­nt montrée et décortiqué­e sans basculer dans une entreprise de dévirilisa­tion féminisant­e. Car Auteuil ne filme pas en moraliste ou en psychanaly­ste mais en fantaisist­e. A l’aide d’une fable parfois cruelle mais surtout très drôle, il ne cherche qu’à nous faire réfléchir avec le sourire sur notre médiocrité et notre couardise. Cela a la vertu de l’ambition sans la prétention.

Post-apostrophu­m : faire d’une scène où une femme pose des assiettes sur une table un moment sensuel et quasi érotique, il fallait oser !

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