LA PAGE HISTOIRE de Jean Sévillia
Pourquoi le rêve démocratique de 1789 a-t-il débouché en 1793 sur la dictature d’une minorité et un régime de Terreur ?
Des massacres de septembre 1792 à la loi de juin 1794 instituant la Grande Terreur, la France a vécu deux années de violence extrême, gouvernée par une minorité qui s’appuyait sur la rue. Pourquoi est-on passé de l’espérance démocratique de 1789 à la dictature de 1793 ? Le sang qui a coulé dès juillet 1789 ne relevait-il pas déjà de la Terreur ? Cette dernière s’est-elle close avec la chute de Robespierre à l’été 1794 ? Où classer, alors, les poussées de fièvre du Directoire, jusqu’en 1799 ? Peut-on, en définitive, démêler la Révolution de la Terreur ?
Répondant à ces questions, Timothy Tackett, professeur à l’université de Californie, décrit le processus révolutionnaire dans un ouvrage qui recourt à des correspondances inédites à partir desquelles est resti- tuée la vision des acteurs de l’époque (1). Dans la grande querelle entre les spécialistes qui expliquent la Terreur par l’idéologie et le mécanisme révolutionnaires et ceux qui y voient un enchaînement de circonstances, Tackett se situe du deuxième côté, mais, contrairement à tant d’autres, sans absoudre l’inexcusable. D’après l’historien américain, c’est tout à la fois la guerre intérieure et extérieure, mais aussi le poids des rumeurs ou la paranoïa du Comité de salut public, qui voyait des complots partout, qui ont déchaîné les forces ayant ensanglanté le pays au prix de 40 000 victimes, guerres de Vendée non comprises.
En 1978, dans Penser la Révolution française, François Furet avait ressuscité la figure d’un historien – tué au front en 1916 – qui n’était plus guère lu : Augustin Cochin. Ses écrits, réédités à cette occasion, n’étaient plus disponibles. Saluons donc ce précieux volume précédé d’une savoureuse préface de Patrice Gueniffey et d’une utile introduction à l’oeuvre de Cochin par Denis Sureau (2). Autant historien que sociologue, Cochin avait montré que les clubs révolutionnaires, ancêtres des partis contemporains, avaient introduit dans le jeu politique des structures qui, derrière le paravent de la liberté de pensée, dissimulaient la soumission de l’individu à une autorité inavouée et à des idées préfabriquées. Une pensée critique et forte sur les origines de la démocratie moderne.
(1) Anatomie de la Terreur, de Timothy Tackett, Seuil, 480 p., 26 €. (2) La Machine révolutionnaire, d’Augustin Cochin, préface de Patrice Gueniffey, Tallandier, 686 p., 29,90 €.