LES CLÉS POUR COMPRENDRE
La série d’attentats commis contre trois églises et un commissariat à Surabaya, deuxième ville indonésienne, montre combien cet Etat d’Asie est aussi devenu la cible de l’islam radical.
1 UN MODE OPÉRATOIRE INÉDIT
Dimanche 13 mai, à Surabaya, la deuxième plus grande ville d’Indonésie, trois églises ont été visées par des attentats-suicides à quelques minutes d’intervalle – 14 morts et des dizaines de blessés. Le lendemain, un commissariat de la même cité a été la cible de kamikazes, faisant 11 blessés. Ces deux actes terroristes ont un effrayant point commun : ils ont été commis par des familles prétendant agir au nom de l’Etat islamique – qui les a revendiqués. Les églises (deux protestantes, une catholique) ont subi l’attaque de six membres d’une même famille : le père, la mère, leurs deux filles de 9 et 12 ans et leurs deux fils de 16 et 18 ans. Le poste de police, lui, a connu l’assaut d’une famille de cinq kamikazes – dont quatre sont morts – et une fille de 9 ans a été grièvement blessée. Le père de la famille qui s’en est pris aux chrétiens était, selon la police, le chef de la cellule locale du Jamaah Ansharut Daulah (JAD) un mouvement affilié à Daech. Il serait revenu du Moyen-Orient avec femme et enfants après avoir vainement tenté de gagner la Syrie et avoir été détenu en Turquie. Quand Daech tenait Raqqa, plus d’un millier d’Indonésiens avaient rejoint les rangs des djihadistes.
2 L’ISLAM INDONÉSIEN SOUS LA PRESSION DES RADICAUX
Longtemps, l’Indonésie, le plus grand Etat à majorité musulmane (90 % des 261 millions d’habitants), a été considérée comme une terre d’islam modéré où les radicaux ne parvenaient pas à s’enraciner. Mais depuis la fin du régime de Suharto, qui tint le pays d’une main de fer pendant trente ans jusqu’en 1998, les fondamentalistes se sont organisés et agissent politiquement au grand jour avec le soutien financier de l’Arabie saoudite qui a dépensé sans compter pour bâtir des mosquées et ouvrir des écoles coraniques. Le Front des défenseurs de l’islam (FPI), d’obédience salafiste, intolérant vis-àvis des minorités aussi bien ethniques que religieuses, a mené des actions spectaculaires et noyauté des organisations modérées. Au point d’intimider la classe politique et d’exercer une pression sur une population indonésienne qui pratiquait jusqu’ici un islam très modéré. Avant les attentats de cette semaine revendiqués par l’Etat islamique, des groupes affiliés à al-Qaida avaient perpétré des actes retentissants, notamment ceux de Bali en 2002 faisant 202 morts qui restent les plus meurtriers de l’histoire du pays.
3 LE DÉFI À LA DIASPORA CHINOISE
L’islamisme radical d’Indonésie a également causé des tensions ethniques. L’an dernier, le gouverneur de Jakarta, Basuki Purnama, surnommé « Ahok », a écopé de deux ans de prison, accusé d’avoir blasphémé le Coran. Ce chrétien d’origine chinoise avait été le premier issu de cette double minorité à se faire élire gouverneur de la province la plus puissante du pays. Quand il a reproché à ses opposants d’utiliser une sourate du Coran pour faire campagne contre lui, les radicaux ont déclenché des manifestations et saisi la justice. Malgré le soutien (discret) du président indonésien, Ahok a été jeté en prison, où il se trouve encore.
Dans le pays sévit un fort sentiment antichinois né des disparités économiques. Le taux de croissance de 6 % semble davantage profiter aux Indonésiens d’origine chinoise (ils détiennent la plupart des 50 premières fortunes du pays). Comme les chrétiens (environ 24 millions d’Indonésiens) sont presque tous d’origine chinoise, les djihadistes ciblent les églises. En 1998 déjà, des pogroms avaient visé la communauté chinoise. A l’époque, Pékin n’avait pas réagi. Vingt ans plus tard, la Chine ne devrait pas rester silencieuse si ce genre d’exactions se reproduisait.