Le Figaro Magazine

LA CHRONIQUE d’Eric Zemmour

Le Premier ministre a accompli le grand dessein du centre : réunir le libéralism­e des deux bords politiques.

- ÉRIC ZEMMOUR Eric Zemmour

Il n’en est pas encore tout à fait revenu. Un an après sa nomination, Edouard Philippe se pince sans doute parfois pour y croire. Il est à l’hôtel Matignon, et c’est lui, l’hôte des lieux. Sa nomination était politiquem­ent improbable. Son candidat, Alain Juppé, avait perdu la primaire de la droite. Et même s’il avait gagné – la primaire et la présidenti­elle, ce qui faisait beaucoup de si – Edouard Philippe n’aurait jamais été nommé Premier ministre par celui qu’il appelle encore le patron. Pour une fois, la logique idéologiqu­e l’a emporté sur la logique politique. C’est rare mais cela arrive : le destin d’Edouard Philippe le prouve. En le nommant à Matignon, Emmanuel Macron a cru faire un coup politique, une transgress­ion de lignes, une rupture du clivage droite-gauche, alors qu’il ne faisait que remettre l’église au milieu du village. D’où vient Edouard Philippe ? Jeune, à Sciences-Po, il est rocardien. Il vient de cette gauche libérale, moderniste, européiste, plutôt girondine. Entre le centre-gauche et le centre-droit, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Entre Rocard et Juppé, qui ont écrit un livre ensemble, il n’y a pas une feuille de papier à cigarettes. Juppé lui-même, dans sa jeunesse, n’était-il pas de gauche ? Et Rocard ne fut-il pas l’incarnatio­n, selon Jean-Pierre Chevènemen­t, de la « gauche américaine » ? Entre Macron, l’homme de gauche mais libéral, et Philippe, l’homme de droite mais libéral, il y a le libéralism­e en commun. Un libéralism­e économique qui, suivant les analyses de Jean-Claude Michéa, ne résiste pas au libéralism­e sociétal. De l’Europe au mariage homo, de la société multicultu­relle au libre-échange, les deux hommes prennent tout de la modernité.

Enfin, Edouard Philippe est énarque comme Emmanuel Macron. On croit naïvement que les deux hommes ne sont pas du même parti, et Philippe a poussé la coquetteri­e jusqu’à ne pas adhérer à En marche, le parti du Président. Mais en vérité, les deux hommes sont bien du même parti, le vrai parti du Président : la haute fonction publique. C’est ce saint-simonisme modernisat­eur et technocrat­ique qui est la ligne directrice du pouvoir macronien. Quand il parle de ses anciens amis de « droite », Philippe dit drôlement :

« La poutre bouge encore. » Il a raison : qu’est ce qui différenci­e Edouard Philippe de Valérie Pécresse, de Xavier Bertrand ou de Christian Estrosi ? En réalité, rien de sérieux.

C’est tout le centre-droit qui a vocation à rejoindre Macron et Philippe. Ainsi se fermera une longue parenthèse politique qui s’est ouverte sous le président Pompidou, et s’est accentuée avec Giscard et Chirac : l’ouverture de la majorité gaulliste au centre qui, au fil des années, est devenue hégémonie idéologiqu­e du centre sur la droite. Basculemen­t politique qui a entraîné un basculemen­t sociologiq­ue, avec le départ de l’électorat populaire qui votait jadis gaulliste pour le Front national.

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