LA PASSION SELON DE STAËL Art
Entre abstraction et figuration, ce descendant d’une lignée d’officiers du tsar peignait avant tout l’insoutenable vérité de l’être. A Aix-en-Provence, une splendide exposition consacrée à sa période provençale restitue le génie de cet artiste inclassable
Le 14 mars 1955, Nicolas de Staël referme la porte de son atelier sis rue du Revely, à Antibes. Il monte sur le toit, se jette dans le vide, s’écrase sur le sol. Un peintre vient de mourir. Pas n’importe lequel : un inclassable. Pas n’importe où : en Provence. « On apprend à voir les
couleurs ici, avait-il écrit. Je travaille sans cesse et je crois plutôt que la flamme augmente chaque jour et j’espère bien mourir avant
qu’elle ne baisse. » On peut dire que Nicolas de Staël a été entendu. Cette flamme qu’est la passion aura brûlé l’artiste toute sa vie durant. Passion amoureuse toujours entrelacée, pour le meilleur et pour le pire, avec celle de
peindre : « Tu me mets, toi, dans une espèce de délire, j’ai fait en une nuit de détresse, une après-midi et au retour de Marseille, les plus beaux tableaux de ma vie », écrit-il à Jeanne Mathieu, qui fut son dernier et fatal coup de foudre. Passion de la peinture : « Toute ma vie, j’ai eu besoin de penser peinture, de voir des tableaux, de faire de la peinture pour m’aider à vivre, me libérer de toutes les impressions, toutes les sensations, toutes les inquiétudes auxquelles je n’ai jamais trouvé d’autres issues que la peinture. »
LE MOUVEMENT EST CHEZ LUI UNE SECONDE NATURE
Issue fatale, elle aussi, car les dernières années du peintre sont placées sous le signe de la lumière. Celle du Sud, de la Méditerranée, de la Sicile, de la Provence. Celle qui fut la dernière et inaccessible quête de l’artiste. Celle qui irradie des toiles de la période dite justement provençale. Celle qui, tout comme la mort, ne peut ni se peindre ni se regarder en face. Que faire après ? Que peindre après ? Y a-t-il seulement un après à peindre ? Il n’y en aura pas, et c’est tout l’intérêt de la remarquable exposition « Nicolas de Staël en Provence », qui se tient dans le magnifique hôtel de Caumont, à Aix-en-Provence, d’en faire la démonstration. Soixante et onze tableaux et 26 dessins témoignent de ce que fut l’acmé d’une oeuvre et le dernier combat d’un homme que son histoire et ses origines destinaient sans doute à la passion, mais guère à la peinture.
Issu d’une branche cadette de la famille Staël von Holstein, le baron Nikolaï Vladimirovitch Staël von Holstein est fils et petit-fils de militaire et de cavalier. Son grand-père a dirigé la 2e division de cavalerie du tsar. Son père a servi dans les rangs des cosaques et uhlans de la garde impériale. Il est vice-commandant de la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg lorsque son fils voit le jour en 1913. Il est baptisé tout naturellement dans la cathédrale sise dans l’enceinte de la forteresse. La révolution contraint tous ces braves gens à l’exil. Ses parents meurent en Pologne en 1919. Nicolas est confié à une famille d’origine sarde, ayant obtenu la nationalité russe au XIXe siècle, et vivant en Belgique. Il y passera enfance et adolescence, y fera ses études avant de se consacrer à la peinture et au voyage. Il parcourt la Hollande, l’Espagne, le Maroc, l’Italie, la France. Le mouvement est chez lui une seconde nature. Jamais il ne souhaitera ni ne pourra se fixer. Syndrome du déraciné toujours en exil ? Angoisse toujours à noyer dans l’ivresse du dépaysement ? Quête inépuisable, inapaisable, du sans-limites ? De Staël ne descendra que rarement de cheval. Un cosaque vit sans temps mort. Refus des espaces clos, des cadres, des genres ; indifférence aux modes ; Nicolas de Staël était un inclassable. Il méprisait le compromis et son besoin de renouvellement ne supportait aucune contrainte : « Je crois que quelque chose se passe en moi de nouveau, et parfois cela se greffe à mon inévitable besoin de tout casser quand la machine semble tourner en rond […]. » Son oeuvre en porte la marque.
DE STAËL NE DESCENDRA QUE RAREMENT DE CHEVAL : UN COSAQUE VIT SANS TEMPS MORT