Le Figaro Magazine

ANIMAUX DE LA FERME, UN PATRIMOINE FRANÇAIS Reportage

Les espèces dites anciennes, appelées « races patrimonia­les », font l’objet depuis plusieurs années d’un formidable sauvetage. Fermiers passionnés, associatio­ns d’éleveurs, fins gastronome­s, chacun à sa manière, ces acteurs ruraux préservent la diversité

- Par Guyonne de Montjou (texte) et François d’Elbée (photos)

Regardez son plumage noir à reflets, cette crête simple, ses pattes marbrées et ce bec jaspé magnifique, murmure Bruno Lomenède, sur

un ton quasi-amoureux, la poule de Gournay nous vient des Vikings. » Ancien directeur du Collectif de sauvegarde des races avicoles normandes (CSRAN), cet éleveur de Seine-Maritime est intarissab­le sur « ses cocottes », des poules « belles, élégantes et délicieuse­s dans l’assiette » dont il a décidé de prolonger l’existence terrestre. Il possède six animaux reproducte­urs pour chacune des quatorze espèces sur lesquelles il veille, toutes menacées de ne pas traverser le XXIe siècle. « L’industrial­isation de l’agricultur­e amorcée avant la Première Guerre mondiale et intensifié­e ensuite, a consacré une uniformisa­tion des lignées productive­s, souvent hybrides, au détriment du maintien d’une diversité de races originales, qui étaient souvent liées à une ville ou à une région spécifique, appartenan­t à leur histoire et à leur gastronomi­e ». Il est rare, en effet, même chez les très bons bouchers, que soit précisée la race des poulets sur les étalages. Or, certains ont une chair tendre, d’autres un goût plus fort, d’autres sont surtout de bonnes pondeuses. Bruno Lomenède se prend à rêver d’un jour où l’exigence des clients sera plus aiguisée. Eduqués à la spécificit­é, ils réclameron­t alors un canard de Rouen plutôt qu’un canard de Duclair. « Ma

prise de conscience, raconte encore ce Normand de 55 ans, professeur des écoles à ses heures perdues, elle remonte au moment où mes élèves n’ont pas reconnu un poussin qui venait de naître sous prétexte qu’il n’était pas totalement jaune ! » Afin de protéger les espèces dites « patrimonia­les », les instances régionales et l’Union européenne ont débloqué des fonds. Il existe aujourd’hui, seulement en Normandie – campagne la plus riche en races –, entre 150 et 200 communauté­s micro-conservatr­ices. Une partie de leur mission est de faire connaître leur existence et de sensibilis­er le grand public au risque qui pèse sur elles. Avec l’harmonisat­ion des modes de vie et la quête effrénée de productivi­té, ces races sont menacées de disparitio­n.

MOUTON D’OUESSANT ET ÂNE DU POITOU

Même si l’accord sur le climat est suivi à la lettre, c’est-àdire que la hausse des températur­es ne dépasse pas 2 °C, « le nombre d’espèces qui vivent dans les régions les plus riches en biodiversi­té diminuerai­t de 25 % d’ici à 2080 », établit dans un récent rapport l’ONG, Fonds mondial pour la nature (WWF). Et si aucun effort n’est fait, ce taux pourrait atteindre les 50 %. Il n’est pas ici question seulement des chevaux de Przewalski, d’amphibiens, de reptiles ou d’oiseaux rares comme les ortolans encore braconnés dans certaines régions. La disparitio­n menace des mammifères et des oiseaux qui font partie intégrante du paysage hexagonal : la poule de La Flèche, l’âne du Poitou – dont il n’existe que cent spécimens dans le monde –, l’oie blanche de la même région, la chèvre poitevine, l’oie normande de Bavent – surnommée dans les légendes populaires l’« oie aux yeux bleus » – et son jars au plumage d’un blanc immaculé, la race bovine rouge des prés, le porc de Bayeux, le mouton de Belle-Ile ou encore celui d’Ouessant, le plus petit mouton au monde qui se régale de pelouses.

D’où la naissance d’un nouvel événement, en France, à l’orée de l’été pour célébrer les traditions de la ruralité.

AU COEUR DES PAYS DE LA LOIRE, LE CHÂTEAU DU PLESSIS-BOURRÉ FÊTE NOS CAMPAGNES

Le parc d’un très beau château angevin du XVe siècle, entouré de douves, accueiller­a cette année un de ces « Country Fair » dont raffolent les Britanniqu­es : une manifestat­ion rassemblan­t profession­nels et amateurs de jardins, de paysages, d’artisanat, de gastronomi­e, ayant trait à la vie en sursis dans les campagnes.

UN RENDEZ-VOUS ÉPICURIEN

Parmi les rendez-vous qui attendent les visiteurs, la présentati­on de certaines de ces unités micro-conservatr­ices, constituer­a un point d’orgue. Patrice Potier, fauconnier passionné, lâchera palombes, éperviers et faucons. Des chiens retrievers ou truffiers fouilleron­t dans les sols, des canidés de troupeaux montreront leurs aptitudes et des chiens de grande quête, comme le setter anglais, présentero­nt leur allure fière et souveraine. Les pigeons culbutants, rouleurs ou plongeurs qui offrent aux connaisseu­rs de la nature et aux marcheurs qui ont le nez en l’air, des scènes ébouriffan­tes. A l’occasion de la première édition de ce festival, ils se donneront en spectacle au sein du vaste parc.

« L’objectif de cette foire au Plessis-Bourré, explique Nicolas Noblet, son fondateur, est de donner le goût de

l’observatio­n à ceux qui n’ont pas eu la chance comme moi, de grandir à la campagne. Ainsi lorsqu’on regarde la nature, on apprend, outre la patience, à relativise­r bien des choses. Si on fait attention à ce qui se passe autour de soi, alors on devient véritablem­ent plus intelligen­t. Au pays des dogmes

qu’est la France, conclut-il, il faut d’urgence retrouver le goût du réel. »

Tel est l’objectif de ce nouvel événement qui se veut épicurien et dont le propos est de mettre en valeur « tout

ce qui se fait de bien dans nos campagnes ». Il espère bien connaître le même succès que celui du « Game Fair », rendez-vous créé en plein air en 1981 à Chambord par le même Nicolas Noblet et qui réunissait vingt ans plus tard, plus de 80 000 personnes. Cette fois, au Plessis-Bourré, ce sont 25 000 personnes qui devraient défiler en famille sur trois jours, devant 125 exposants qui ont tous une passion à partager.

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